Kapitalis 30 Mai 2019
Mehdi Jendoubi.
Quand des privés jettent des miettes aux pauvres, on les
admire pour leur charité, et cela leur donne des ailes pour faire de la politique,
à défaut d’autres formes de légitimité. Mais quand l’Etat organise la solidarité
publique, on se tait et pire, on l’ignore ; confondant souvent
gouvernement et Etat.
L’Etat tunisien a toujours eu une politique publique de
lutte contre la pauvreté, il faut la reconnaitre, la critiquer et demander plus.
Mais la nier laisse la place à tous les ambitieux qui s’approprient au moindre
coût une notoriété humanitaire, tremplin évident,
pensent-ils au statut de leadership politique.
Le gouvernement actuel prépare une stratégie nationale d’intégration
sociale et de lutte contre la pauvreté, et a fait voter par l’Assemblée, il y a
quelques mois en Janvier 2019 une loi sur la sécurité
sociale : « Amen », qui prévoit la création d’une agence
nationale pour l’intégration et le développement social, qui sera en charge de
coordonner toutes les actions publiques de lutte contre la pauvreté et de gestion
de la solidarité publique.
Il ne fait en cela, que poursuivre une politique
constante dont les origines remontent à l’indépendance avec les campagnes de
« dégourbification » (logement précaire) et de construction de logements
sociaux ainsi que la pension vieillesse instituée au profit de personnes âgées
qui ont certes travaillé leur vie durant, mais n’ont pas cotisé dans une
quelconque caisse sociale.
Ce noyau de politique sociale et de solidarité publique,
inspiré par Bourguiba, se poursuivra et se renforcera par une panoplie de
mesures. Le budget économique de 2010, dernière année de l’ancien régime, nous
informe que 135 mille familles à faible revenu, recevaient une pension de 80 DT.
Les gouvernements successifs depuis la révolution ont poursuivi cet effort.
Cette même pension sous le gouvernement de la troïka, est servie en 2013 à 235
mille familles et a été augmentée a 110 DT et en 2017, elle est de 180 DT et
couvre 242 mille familles.
Les gouvernements successifs sont les gestionnaires
provisoires de l’Etat, et indépendamment de leurs choix idéologiques et
politiques, ils gèrent l’argent public, pour permettre à la société d’accomplir
ce devoir de solidarité.
La constitution de 2014 dans son article 12 fixe à l’Etat
l’objectif « de réaliser la justice sociale » et l’article 38
institue, que « la santé est un droit », et que « l’Etat
garantit des soins pour les personnes sans soutien ». Bien d’autres
articles de la constitution, jettent les bases d’une vraie politique publique
de la solidarité, et la lutte contre la pauvreté et la précarité n’en est qu’un
volet.
Le tableau de bord est clair. Le recensement de la
population de 2014 nous informe que la Tunisie, comprend dans son ensemble,
deux millions 713 mille foyers. L’enquête sur la consommation des ménages réalisée
en 2010, qui fixe le seuil de pauvreté à moins de 1277 DT dépensés par personne
et par an en ville, et à moins de 820 DT par personne et par an en milieu
rural ; classe 900 mille familles (avec environ 4 personnes par foyer), sous
le seuil de pauvreté, dont environ le tiers en extrême pauvreté.
Au vu de ces chiffres, il est aisé de comprendre que les
efforts réels consentis par l’Etat et les individus charitables, sont
insuffisants et parfois désespérants. Les images diffusées par les medias sur
les multiples formes de misère que vivent certains citoyens sont réels, même si
les ambitions personnelles pour faire de ce sujet un cheval de Troie politique
sont aussi évidents.
Les économistes affirment que le moyen de lutte le plus
efficace contre la pauvreté est la croissance économiques qui procurera un
emploi digne et stable, seule solution valable pour rompre le cercle infernal
de la misère. Pour eux seule la création d’une nouvelle richesse permettra de
mieux la redistribuer. Mais que faire quand la croissance tarde à venir ?
Dans beaucoup de pays et à différentes époques et même
durant les crises économiques et donc avec des ressources amoindries, des
politiques publiques de solidarité ont été conçues pour les tranches sociales
les plus démunies. Si le traitement économique de la pauvreté par le développement
et l’emploi est la voie royale, il ne faut pas sous-estimer, ce qu’on appelle
aussi le traitement social de la pauvreté, qu’il serait mieux d’appeler :
une politique publique de la solidarité nationale.
La polémique sur la politisation de la charité pourrait
être positivée, allons plus loin et politisons, sans réserves non pas la
charité, mais la solidarité publique. Que tous les acteurs de la vie publique,
Etat, partis, organisations nationales, entreprises économiques, société civile
et citoyens, s’approprient de cette question, et chacun y apportera ses
ressources et sa bonne volonté.
Mais cela n’ira pas sans vouloir payer le prix. Les
ressources actuellement investies dans la solidarité publique, sont
insuffisantes. Politiser la pauvreté veut dire surtout, identifier les
multiples formes nécessaires de financement, des politiques publiques de
solidarité, et fixer la part de chacun dans cet effort.
Cela veux dire aussi, reconnaitre
la richesse potentielle des pauvres en terme d’énergie de vie et de savoirs
faires sous-estimés et de qualités morales, et
lever les multiples blocages sociaux qui empêchent ces potentialités de
s’épanouir. Des équipes de chercheurs de différentes disciplines scientifiques,
devraient être engagées à étudier la question de la pauvreté et de la précarité
sociale, dans ses multiples aspects et causes et proposer les solutions les
plus créatives. Sinon nous resterons au niveau des vœux pieux et des
paroles incantatoires. jendoubimehdi@yahoo.fr
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