Jendoubi mehdi.
Universitaire.
Kapitalis: 16 Avril 2022
Faites des
lois, vous changerez le réel. Cela est
vrai et cela a été expérimenté en Tunisie avec la promulgation du code du
statut personnel en 1956, et qui à l’époque devançait la société tunisienne,
et a façonné la réalité de la famille
d’aujourd’hui en Tunisie.
Mais cela
n’est pas toujours vrai, la Tunisie depuis des décennies connait un emballement
juridique, et fabriquer des lois est même devenue l’œuvre maitresse d’une autorité
publique de plus en plus impuissante à agir sur le réel, dans ses plus simples
enjeux comme nettoyer les rues, faire respecter les feux de la circulation ou
tailler régulièrement les arbres des espaces publics, et je cite volontairement
les mini enjeux, car c’est à leur aune qu’on peut juger de notre capacité à
faire face aux grands enjeux.
Déjà dans
les années 1990 notre directeur nous réunissait en assemblée générale pour
nous transmettre une directive de notre ministère : nous devions fixer définitivement
les programmes de cours à l’IPSI (école de journalisme), car le ministère de
l’Enseignement Supérieur avait pour politique générale de publier des arrêtés ministériels
au journal officiel de l’ensemble des programmes de l’Université. Je dis bien
programmes avec intitulés de cours et horaires alloués en non pas seulement le
statut de l’Ecole et les intitulés scientifiques des licences ou leurs
objectifs. Notre Directeur feu Moncef Chennoufi n’hésitait pas à nous confier publiquement son
scepticisme, nous disant que cela rendrait très compliqué toute modification ultérieure,
nécessitée par l’adaptation des enseignements,
une règle d’or en pédagogie. Publier les programmes sous forme d’arrêtés, était
presque équivalent à embaumer une momie.
Sous
l’ancien régime avant la révolution, plusieurs lois vitrines, avaient juste
pour objectif de faire bien, de paraitre respectable parce que formellement
ressemblant aux « normes internationales ».
Apres la révolution,
la Tunisie connut un déferlement juridico institutionnel. Animée par le concept
fondamental d’Etat de droit, une armée de juristes de tout niveau pensait reconstruire
le pays à coups de lois et faute de bâtir des édifices,
ils bâtirent des institutions et conçurent des lois qui tombent comme un
château de cartes après un certain 25 Juillet 2021. Crier à la dictature, peut
être respectable comme opinion politique, mais cela est loin d’expliquer cet effondrement
fatal au premier coup de vent.
Etre
responsable en Tunisie durant la décennie passée, toute couleur politique
confondue, équivalait presque à jongler avec les lois et à passer des nuits
blanches à placer ses hommes/pions sur l’échiquier institutionnel de plus en
plus complexe, et de plus en plus impuissant à agir sur le réel.
Le rapport
de force n’est pas uniquement sur le terrain politique. Il y a aussi un rapportde force entre disciplines scientifiques, qui se manifeste par une visibilité déséquilibrée
des représentants de chacune des disciplines qui constituent un tout complémentaire
de l’intelligence collective.
Ce déferlement
juridico institutionnel où presque les seuls acteurs sont les hommes de loi de toute catégorie,
ceux qui conçoivent et rédigent la loi et ceux qui l’appliquent, est le résultat
de ce rapport de force qui exclut presque les autres disciplines des sciences
humaines, comme si une loi était, en dehors du temps et de l’espace et n’obéissait
pas dans toutes ses phases aux multiples autres déterminants qui agissent en
silence mais en profondeur, dans le réel : comme le déterminant
historique, ou social ou psycho-social ou économique.
Toute société
a besoin de lois. Mais les lois ne sont pas de pures émanations désincarnées,
sorties de têtes bien pensantes et bien intentionnées. Il y a aussi l’esprit de
la loi, et la sociologie et l’anthropologie
et la philosophie des lois et bien d’autres éclairages sur la
« fabrique » sociale des lois, dont nous avons plus que jamais besoin
actuellement en Tunisie, pour encadrer cette fébrilité juridique, relativiser, et
corriger le tir. Continuer à noircir les pages du JORT (journal officiel) en
ajoutant des lois aux lois, peut donner l’illusion d’agir, mais en fait cela relève
plus de l’esprit magique où les incantations se substituent aux actions.
Source :
Tunisie
: Un pays sous dopage juridique - Kapitalis
Note :
L’habillage
d’un article est un atout supplémentaire de mise en forme qui fait gagner à
l’article une apparence esthétique, qui n’est pas sans conséquence sur sa
meilleure visibilité et son aspect esthétique et surement sur sa meilleure
compréhension. De même la réécriture peut permettre de corriger une faute ou préciser
un contenu vague. Plusieurs de mes articles parus dans Kapitalis, ont bénéficié
de cette main invisible et de ce traitement heureux, et m’ont évité certaines
erreurs ridicules. Il m’est arrivé de féliciter Kapitalis, pour le choix des
photos de certains de mes articles qui cadraient à merveille avec l’esprit du
papier. Merci à la rédaction en Chef de Kapitalis pour ce travail de mise en
valeur de nos modestes contributions.
Pour cet article par contre ( Tunisie : Un pays sous dopage juridique), ce traitement a dépassé les intentions de l’auteur. La photo mettant en avant le président et surtout la légende excessive (« des décrets qui n’auront aucun impact… » (La rédaction en Chef a eu la délicatesse de retirer la légende initiale) ), donnent une fausse impression dès le départ et orientent le lecteur : l’article pose un problème bien plus ancien que l’arrivée à la présidence en 2019, d’un expert du droit, puisqu’il remonte aux années 1990, pour attirer l’attention sur ce fétichisme des lois qui à mon humble avis, pose problème et mérite débat.
Dans le texte
initial il n’y avait aucune référence directe et explicite au président Kais Saied, je mentionnais de manière volontairement implicite, comment l’échafaudage
juridique post révolution, s’avère être un château de cartes, puisqu’il
s’effondre « un certain 25 juillet 2021 », juste pour montrer que nos
lois n’étaient pas suffisamment inscrites dans les esprits et les cœurs, bien
au contraire, voulues par l’élite politique elles étaient incomprises/non
acceptées/inefficaces par les citoyens, sinon nul n’aurait pu y toucher.
Je respecte
l’effort de la rédaction en Chef qui a jugé bon d’ajouter à ma phrase
implicite, du background qui précise des faits,mais y ajoute un commentaire qui
n’est pas mien (« Le Chef de l’Etat se donnant pour mission de revoir
toute l’architecture juridique…etc. ».