Mehdi Jendoubi.
Universitaire.
La Tunisie est fatiguée de
politique, nous allons collectivement vers l’impasse et aucune partie aussi
bien du côté du pouvoir que de l’opposition, n’est en mesure de convaincre
l’autre de la justesse de ses choix par des analyses politiques, bien sûr en
donnant au terme analyse une définition bien large pour intégrer les
affirmations laconiques, les invectives et les slogans colportés par vidéo, et
élevés au rang, de pensée politique, à la va vite.
Le président de la République, est
actuellement le seul détenteur d’un pouvoir légitime après avoir mis hors
circuit la représentation nationale arrivée déjà à un état de décrépitude avantle coup de grâce présidentiel du 25 juillet 2021, il jouit d’un réel soutien
populaire, et ses pires détracteurs reconnaissent publiquement ou dans leur âme
et conscience, son honnêteté et sa rectitude, qui sont son ultime capital
politique, dans un pays aux multiples déceptions, élection après élection
depuis plus de trois décennies.
Un réel malentendu, au fossé de plus
en plus grandissant, existe entre le président et l’élite politique de son
pays, et il est dangereux de continuer à avancer en rang dispersé, et narguer
l’élite sous prétexte de soutien populaire.
Avec tous ses défauts, l’élite
politique tunisienne est fille de ce pays, et elle a façonné son histoire
contemporaine, et toute réforme politique ou économique ou culturelle passera
nécessairement par elle, ou sera mort-née.
Quel arbitre crédible pour les élections ?
Dans l’habile stratégieprésidentielle, qui a détricoté en maître orfèvre, le système politique instauré
en 2014, la « reforme » cavalière de l’Instance Supérieure Indépendante
pour les Elections (ISIE), est un coup de trop.
Indépendamment du champ de compétences,
des retouches de structure et des personnes, l'erreur fatale qui équivaut à
tuer la poule aux œufs d'or, est de reformer l'ISIE, en dehors du consensus des
futurs concurrents. On ne change pas d'arbitre la veille d'un mach et il ne
revient à aucune équipe en compétition, de designer l'arbitre. Être juge et
partie biaise le jeu.
La tare qui a longtemps collé aux
régimes successifs avant la révolution, a été le doute quasi général,
concernant la crédibilité des élections, devenue une simple formalité.
L'ISIE était loin d'être parfaite,
mais sa qualité principale depuis sa première version de 2011 était d'être
acceptée par les acteurs en compétition, ce qui entraine aussi l'acceptation
des résultats électoraux par ceux qui ont échoué, rite démocratique majeur et seule
garantie de stabilité d'un régime.
Toutes les élections futures, même
celles qui se dérouleront correctement, souffriront de ce bidouillage
juridique. Changer de manière aussi légère les règles du jeu sans souci de consensus,
nous fait revenir à la case départ du système politique antérieur à la révolution,
celle du doute généralisé, le vers qui finira par faire pourrir le fruit, la
graine de sable qui fera grincer la machine.
Deux pas en avant un pas en arrière.
La ligne droite n’est pas toujours
le seul chemin à prendre et l’adage dit que parfois il faut savoir reculer,
pour mieux sauter. L’histoire internationale et nationale est riche de
décisions courageuses, prises par de grands leaders, contraints de faire des
pauses ou même de changer de tactique.
Lénine dans les années 1920 a dû
changer de politique économique, au vu des mauvais résultats suite aux
décisions prises après la révolution russe de 1917, et a lancé la NEP (Nouvelle
Economie politique), renonçant à certains dogmes, et a justifié cette décision
par sa fameuse formule : « deux pas en avant, un pas en arrière ».
Bourguiba après avoir signé avec le
leader libyen Guaddafi un traité d’union, en 1975, a changé de politique en
quelques jours devant les pressions venant de toutes parts, et a renoncé à ce
projet de création de la République Arabe Islamique qui fusionne la Tunisie et
la Libye, et par conséquent a renoncé à cet espoir de voir toute la dette tunisienne
effacée, comme promis par le leader libyen.
Plus tard en 1984, après avoir
cautionné la hausse du prix du pain à la demande de son premier ministre M.
Mohamed Mzali, ce qui a entrainé une révolte généralisée, il annonça lui-même
publiquement un retour à la case départ et l’annulation des hausses, et le
calme revint.
Des voix s’élèvent de plus en plus nombreuses
en Tunisie, pour appeler à retarder l’échéance du referendum du 25 Juillet 2022.
La question n’est pas technique, car il est évident pour toute personne sensée,
que les conditions minimums, pour faire de cette date un rendez-vous de
consensus national, sont inexistantes.
Ce geste présidentiel de bonne
volonté, permettra de calmer les esprits, et donnera le temps d’organiser dans
de meilleures conditions, le débat national annoncé. Le président sera le
moteur et la locomotive de ce vaste projet de réforme politique annoncé au
lendemain de son élection en 2019, quand il a parlé, sans être pris au sérieux
par les vieux routiers de la politique, de «nouvelle révolution dans la loi »,
mais un moteur ou une locomotive doivent être en mesure d’entrainer avec eux
engrenages et wagons.
De la pédagogie de classe à la pédagogie politique.
A quoi bon être porteur de vérité si
on ne réussit pas à la faire partager au-delà du cercle des ses amis et
admirateurs ! Ce n’est pas à un enseignant qui a passé sa vie à transmettre des
idées aux jeunes, qu’on rappellera que les idées sont toujours difficiles à
transmettre, et la patience du maître est son atout principal dans cette
mission. Passer de la pédagogie de classe à la pédagogie politique pose peut-être
quelques problèmes, à ne pas sous-estimer, car ils sont source de confusion malgré
la sincérité et la bonne volonté. Quel chef n’a pas de défauts ? les
reconnaitre et les corriger, le fera grandir.
La décision ne sera pas d’ordre politique,
même si elle aura de grandes conséquences politiques : c’est dans le
chapitre Sagesse des grands livres de l’humanité, qu’on puisera les plus beaux
arguments qui convaincront les amis et les adversaires, qu’ils ont affaire à un
président qui sait être à l’écoute de tous les citoyens, ceux qui le
soutiennent et lui font confiance et ils sont nombreux, et ceux qui lui disent « non »
et s’opposent à sa politique. Quelle haute sagesse d’aimer aussi ceux qui ne
nous aiment pas. Quel beau et difficile métier, d’être le président d’un peuple
fier et libre. jendoubimehdi@yahoo.fr
Source:
Tunisie :
Trêve de politique, faisons preuve de sagesse! - Kapitalis