Par : Mehdi Jendoubi
Universitaire retraité.
Kapitalis : 11-2-2022
Toutes les apparences l’accusent. Il
détricote consciencieusement et méticuleusement fil après fil le tissu
institutionnel démocratique post 2014, année de la proclamation de la
constitution tunisienne. Il a suspendu l’Assemblée des Représentants du Peuple
(ARP ), a fait disparaître l’Instance anti-corruption et voici le tour du
Conseil Supérieur de la Magistrature, mis hors-jeu. Monsieur le président KaisSaid élu démocratiquement par plus des deux tiers de l’électorat, depuis plus
de deux ans mais installé de fait aux commandes de l’Etat depuis six mois.
Est-il si puissant que cela, pour tenir seul le cap de
son destin et de notre destinée collective et rester sourd aux appels, aux
injonctions et aux menaces, ou est-il si inconscient du rapport des forces
nationales et internationales pour brader tout le monde, ou presque tout le
monde, car comble de tout il a gagné le cœur du « petit peuple » et
n’a pas perdu un iota de sa popularité, peut-être aurait-il perdu quelques
plumes aux dires de récents sondages.
Dix ans après la révolution :
Qu’avons-nous fait de notre pays ?
Quel paradoxe tunisien : le « fossoyeur »
de la démocratie tunisienne serait adulé par son peuple. Les ambassadeurs européens
qui viennent de le critiquer vertement pour sa dernière décision de dissoudre/reformer
le Conseil Supérieur de la Magistrature, le savent. C’est un vrai casse-tête
pour eux. Comment ne pas apprécier un président aimé de son peuple, même à
mi-mandat. Et Dieu sait si usure il y a après deux ans de pouvoir.
Le président s’est mis
progressivement sur le dos, la fine fleur de la politique que compte Tunis et
banlieue. Les vétérans du mouvement démocrate tunisien, ceux qui ont lutté
contre Bourguiba depuis la fin des années 1960 et contre Ben Ali dans les
décennies 1990-2000 et lui ont tenu tête
avec beaucoup de courage, dans les conditions les plus difficiles.
Plusieurs d’entre eux ont été honorés
par le peuple tunisien qui leur a remis après la révolution les clés de la
cité, quand s’est effondré l’ancien régime, un certain 14 Janvier 2011 après un
mois de contestations sociales qui se transforment en crise politique majeure
et finit par l’effondrement total, d’un pouvoir qui n’a pas su et n’a pas voulu
se reformer.
La crise actuelle que connait notre
pays est loin d’être une crise entre le président Kais Saied et l’establishment
post révolutionnaire, elle est directement liée à cet instant
révolutionnaire : Dix ans après la fin de Ben Ali, qu’avons-nous fait de
notre pays ? Qu’avons-nous fait de notre Démocratie ? Où se situe l’erreur, la démocratie tunisienne serait-elle un château
de sable pour se laisser décortiquer aussi aisément par un novice de la
politique élu en 2019, presque comme un colis à la poste? Et ce peuple, vanté
pour sa révolution ultra rapide, pacifique et inventive, prémonitoire d’une
série noire d’hécatombes révolutionnaires arabes, serait-il aujourd’hui en
attente d’un dictateur? Quelles sont les maladies de notre démocratie qui se
laisse mourir presque sous les youyous
entendus un certain 25 juillet 2021( jour de l’intronisation effective
du nouveau président), d’un peuple qu’elle est censée affranchir et servir?
Comment les « démocrates »ont-ils mené leur peuple à cet état d’exécration de la politique. Ce peuple qui
a fait la queue élection après élection et qui a trempé l’index dans cette encre
électorale magique et s’est fait fièrement photographié le doigt électoral, ce
peuple qui a patiemment et passionnément suivi les multiples émissions de débats
politiques des radios et des télévisions nationales et privées pour se cultiver
et se hausser au niveau du discours de ses élites.
Il a successivement voté pour le
parti Ennahdha de M.Rached Ghannouchi en
2012 la hissant au pouvoir avec le parti du Congrès pour la République de Dr.Moncef
Marzouki, un vétéran
de la lutte démocratique élu par l’Assemblée Constituante en 2012, président de
la République, après les années de harcèlement policier et d’exode, et le parti
Ettakattol de M Mustapha Ben Jaafar vétéran lui aussi de la lutte anti Ben Ali
des années les plus dures, élu président de l’Assemblée Constituante.
En 2014 les tunisiens ont voté pourle parti Nidaa Tounes de M Beji Kaied Essebssi, ministre toute sa vie presque
depuis Bourguiba, élu président de la république en 2014 et Ennahdah une
seconde fois. Et en 2019 Ennahdha récidive démocratiquement une troisième fois.
Les tunisiens dont une large
majorité, peuple et élite, étaient presque apolitiques avant la révolution, ont
fait preuve de sagesse et de grande patience, mais ils étaient surtout face au
vide crée par l’effondrement de l’ancien régime, en quête de dirigeants qui méritent
sa confiance.
Les opposants à Ben Ali ont été auréolés
de leurs sacrifices, M. Beji et ses compagnons ont été récompensés pour leur « esprit
d’hommes d’Etat » et pour sa brillante gestion du premier ministère en
pleine crise post révolutionnaire, et Ennahdha
régulièrement élue pour la « piété de ses dirigeants » et pour la solidité
du plus important parti politique connu par la Tunisie contemporaine après le Destour/RCD
fondé en 1920 et dissous en 2011.
Presque tous les partis tunisiens
naissent et éclatent en mille morceaux et seul le parti Ennahdha échappe au
morcellement, sous la coupe de son leader fondateur et idéologue aux nombreux
articles et livres de théologie et de politique depuis les années 1970, M. Rached Ghannouchi lui aussi enseignant
comme Kais Saied, un maitre en conciliations et en compromis.
Tous ont eu leur chance. Tous ont
déçu. Tous sont entrés en contradiction avec eux-mêmes. Tous ont donné une piètre
image de la politique et de la démocratie.
Les uns pilonnent leur propre parti immédiatement
après s’être faits élus sur les listes de ce parti, les autres distribuent des
compensations d’anciens combattants à leurs
militants, victimes d’exactions policières de l’ancien régime, confondant les
deux casquettes dé militant et d’homme d’Etat, et oubliant qu’ils sont élus par
les citoyens et non pas par les fans de leur parti, et que des milliers de jeunes
sont aussi victimes de chômage et d’abandon social, et que les subsides de l’Etat
sont facilement épuisables. Ce sont des erreurs qui se payent cher. Mais c’est
ainsi qu’on apprend collectivement.
Les autres font des rêves depatriarche et pensent plus à l’avenir politique de leur progéniture qu’aux réformes
de l’Etat qu’ils incarnent. Les moins coupables de tous versent dans des luttes
incompréhensibles où les ego se substituent aux idéologies tant
professées depuis les années 70, et
des discussions à moitié comprises sur tout sauf sur les causes et les solutions du chômage,
les boat people version tunisienne qui mènent nos jeunes à la mort dans cette
belle méditerranée devenue un cimetière marin, ou à la bibliothèque de quartier
qui tarde à ouvrir et à ces gens du peuple qui chaque soir font la queue dans les
pharmacies de nuit pour se faire délivrer des traitements par des préparateurs
de pharmacie, car aller voir un médecin coûte trop cher et nos dirigeants élus démocratiquement et fils
légitimes de la révolution, ont oublié
d’ouvrir dans les quartiers populaires des dispensaires de nuit.
Des rues qui restent sales
et un appareil d’Etat
inefficace
Nous avons appris en dix ans à
organiser des élections suite à des débats démocratiques et contradictoires. La
liberté d’expression est réelle et tous les responsables sans exception de
rang, ont fait les frais de cet esprit libre et démocratique.
Mais pourquoi nos rues restent-elles
sales, pourquoi les déchets des chantiers de construction continuent à être
déversés au détour des rues d’une cite ou aux abords d’autoroute, pourquoi je
n’ai jamais vu en dix ans de résidence dans un quartier mi-populaire mi-petit bourgeois de la banlieue sud de Tunis
aucune activité culturelle pour enfants ou jeunes, aucune pièce de théâtre
jouée parmi les multiples pièces subventionnées par le ministère de la culture,
ni je n’ai vu des bus transporter des enfants à la plage durant les vacances,
quand papa n’a pas de voiture. Je reste volontiers, dans les minimas d’efficacité
managériale d’un Etat moderne.
Pourquoi cette incapacité à agir,
cette inefficacité flagrante des
appareils et des dirigeants? Voyez je ne parle pas de plein emploi, de dette
démultipliée, de fiscalité injuste et de corruption, car ce sont des sujets
majeurs sur lesquels je suis incompétent, mais je parle d’animation
socio-culturelle, sorte de portion congrue démocratique et de minimum d’Etat.
Adolescent, j’ai assisté gratis dans
les années 1960 assis à
même le sol à des films devant un écran installé pour l’occasion, sur la place municipale de
la ville de Béja. J’ai appris dans la piscine municipale aujourd’hui
scandaleusement abandonnée depuis trois décennies, mes premiers gestes de
nageur encadré par une jeune instructrice allemande déléguée par notre
municipalité. Et au lycée j’ai suivi les activités d’un club de théâtre animé
par un formateur qui venait du comité culturel local installé dans les locaux
de l’ancienne église de Béja
et fonctionnaire du ministère de la culture. Beau projet de « coopération
horizontale » entre deux ministères, avant la lettre. Comment ce pouvoir apeine naissant après l’indépendance, et non démocratique dans ses formes, pouvait être plusdémocratique et social dans le fond, que notre démocratie des années 2010 ,
issue d’une révolution qui revendiquait emploi et dignité ? allez
expliquer cela à
ceux qui pensent naïvement, qu’íl suffit de faire voter des lois pour faire une
révolution ou même une réforme.
On reprochait au président Ben Ali
sa démocratie de « décor », dix ans après son départ nous avons
enfanté une démocratie de palabres télévisuelles. Sorti des urnes et des
studios de télévision, c’est un autre monde. Quelle impuissance démocratique.
Certes c’est un pas dans le bon sens, mais d’une lenteur désespérante. Dieu
donnez patience à ce peuple.
L’architecture institutionnelle post
révolution a été l’œuvre de vie d’honorables juristes secondés par des
militants échaudés, qui toute leur vie, ont souffert des abus de l’ancien régime.
Leur préoccupation fondamentale légitime, a été de tout faire pour éviter le « retour
de la dictature » et ont multiplié les garde-fous démocratiques, et le résultat
final est un vrai imbroglio institutionnel où
tous luttent contre tous, tous doutent de tous, tous contrôlent tous, mais tous
restent aussi impuissants à agir que tous.
Les bonnes intentions des pères
fondateurs de notre démocratie sont réelles, mais les résultats sont évidents:
un pouvoir grippé et un pays en dérive. Et le fameux débat très médiatisé, sur
le régime présidentiel ou parlementaire ou mixte, n’est qu’un aspect infime du problème
plus général de la machine démocratique tunisienne et de ses rapports complexes
avec la culture politique des citoyens et leurs perceptions et pratiques de
pouvoir, en famille, à
l’école et en société. Le copié/collé démocratique, sous le vocable pertinent
d’ « expériences internationales comparées », a ses
limites et ses aberrations.
Meubler les bibliothèques des écoles est
aussi une dépense démocratique.
De ma petite lorgnette de simple
citoyen retraité de l’enseignement, je vois les honorables ambassadeurs de
puissances européennes, réunis pour pleurer le Conseil Supérieur de la
Magistrature, une des « institutions démocratiques », menacée par la
foudre présidentielle, et tomber d’accord pour adresser poliment une
remontrance à l’adresse des autorités de notre pays. Seriez-vous sérieusement
convaincus de ce que vous écriviez, vous seriez alors coupables d’incompétence,
et l’Europe peut prétendre à de meilleurs observateurs que vous. Je m’explique.
Comment confondre un principe
fondamental, de tout Etat démocratique, à savoir l’indépendance de la justice
avec une des multiples formes institutionnelles possibles, pour incarner ce
principe.
D’ailleurs c’est un des multiples
problèmes de notre système politique post révolution, fait de copiage
démocratique. Nous voulions dans notre fougue libératrice, le meilleur de
chaque système, et nous avons fini par obtenir un monstre mort-né parce
qu’historiquement inadapté et fonctionnellement inefficace.
40 membres pour superviser « le
bon fonctionnement de la justice » et le « respect de son indépendance »,
représenter et administrer l’honorable corporation des juges qui compte à peine
quelques centaines de personnes. Il fallait 40, car dix ou onze étaient
insuffisants à représenter les juges selon leurs spécialités en plus des équilibres
politiques entre les « trois présidences ». Imaginez un Ordre des
médecins où il faudrait des quotas par
spécialité. Une simple aberration démocratique. Savez-vous Messieurs les
Observateurs que 40 c’est aussi le nombre de l’Assemblée des représentants du
peuple de l’Etat du Bahreïn qui pourtant, est une société multiconfessionnelle
nécessitant un subtil dosage représentatif.
40 membres dont chacun perçoit une
prime supérieure au salaire d’un jeune enseignant universitaire, dans un pays
exsangue où les élèves continuent à boire de
l’eau dans des citernes rouillées dans une multitude d’écoles primaires rurales
de la République. Réparer les vitres cassées de ces écoles ou financer un fonds
de livres pour des bibliothèques d’école est une destination bien plus
démocratique, plus utile, et plus révolutionnaire, des subsides publics.
L’actualité est braquée
conjoncturellement sur le conseil de la magistrature, mais bien d’autres
institutions censée constituer le tissus démocratique et républicain sont dans
la même logique. Le fonction de principe est salutaire, mais leur format
institutionnel et surtout les ressources qu’elles mobilisent ne justifient en
rien les dépenses qu’elles raflent en bonne conscience.
Le président Moncef Marzouki,
parlait dans un de ses premiers livres politiques dans les années 1990 de
« forts vides » ("القلاع الفارغة") pour dire comment
des institutions ont de grands noms et de grandes fonctions mais sont comme des
cruches vides. Elles captent les ressources publiques plus utiles pour d’autres
projets, cela s’appelle mauvais usage du
bien public ou allocations financières maladroites et improductives. Un audit
financier de l’ensemble de la machine démocratique, est une première nécessite.
L’erreur originelle a été de laisser les honorables juristes concevoir
l’architecture démocratique sans la présence d’économistes et de spécialistes
des finances publiques » pour leur
rappeler le cout de leurs « rêves » institutionnels. Le fameux
concept ignoré en Tunisie : « le train de vie de l’Etat » est à
introduire dans la culture de base de tous les acteurs publics.
Kais Said dit et fait à sa manière et dans son style
ce que d’autres n’ont cessé
de revendiquer des années durant.
C’est aussi un autre mal de notre
démocratie, en plus d’être inefficace, elle est budgétivore. Elle a beurré les
assiettes de ceux qui ont déjà un salaire, au lieu de donner un salaire à ceux
qui n’en avaient pas. Oui la fameuse Karama/dignite, citée comme un des
« objectifs de la révolution » et ajoutée à la
devise de la République, passe par le salaire/revenu à
tout citoyen en Age de travailler.
Oui notre constitution de 2014 a
proclamé un droit à la vie digne. Relisez ses multiples articles sociaux du
chapitre deux :Droits et Libertés. Pourquoi la démocratie serait-elle
menacée quand on touche aux prébendes de la caste démocratique constituée des
nombreux postes de fonctionnaires de la démocratie crée par l’avalanche
institutionnelle des années 2011, et ne le serait-elle pas quand les droits
sociaux proclamés par la constitution restent inconnus d’une partie non
négligeable de citoyens, galvaudés de promesses électorales non tenues par tous
tout le long d’une décennie fascinante sur le plan purement intellectuel et
politique, mais très difficile pour ceux qui ont des enfants à nourrir et à éduquer?
Si, honorables ambassadeurs, vous ne
croyez pas à ce que vous écriviez dans votre déclaration « punitive »,
car vous aviez déjà diagnostiqué bien
avant l’arrivée sur la scène politique de Monsieur le président Kais Saied, l’impasse
démocratique de notre pays, je serai plus rassuré. Cela ne fera qu’ajouter un
papier aux multiples papiers incantatoires sensés guérir notre démocratie.
C’est à cette démocratie impuissante et inefficace
que s’attaque le président Kais Said récemment venu sur la scène politique tunisienne,
et devenu conjoncturellement, acteur principal de son destin.
Ceux qui le critiquent sont ceux qui
n’ont cessé de dénoncer depuis des années le tourisme parlementaire, ceux qui
parlaient régulièrement de « tardhil » (rabaissement) du parlement et
plus généralement de la politique, ceux qui à chaque déclaration dénonçaient
les « knatria » (commerce au noir) devenus parlementaires, et les
abus du statut d’immunité parlementaire conçu pour protéger les députés dans
leurs activités publiques et non pour couvrir leurs erreurs ou égarements de
simples citoyens, et certains même ont écrit noir sur blanc qu’il fallait
descendre l’armée dans les rues et mettre en prison les « hommes
politiques corrompus ».
Nous tous avons rendu exécrable la démocratie
aux yeux des Tunisiens, et quand le président Kais Said s’attaque à ce pot-pourri
démocratique, nous crions: « notre démocratie est menacée », et nous
pleurons avec des larmes de crocodile, ce que nous n’avons jamais cessé mois après
mois, année après année de dénoncer. De grâce reprenez les vidéos et relisez la
littérature politique du débat public tunisien. Allez comprendre quelque chose
à ces retournements.
Tous responsables de ce que nous
dénonçons à longueur de journée
Les temps sont difficiles pour nous
tous, fils de ce pays et amis étrangers « soucieux de notre sécurité et de
notre stabilité », car nous sommes dans leur espace géostratégique, et ce
qui se passe chez nous peut les impacter.
Pourquoi cet échec politique
endémique en Tunisie ? Pourtant nous réussissons bien dans d’autres sujetsde créativité culturelle. Nous avons du beau cinéma, un théâtre d’avant-garde
et des acteurs toutes catégories de haut niveau, des courants littéraires
dynamiques, des livres de haute tenue dans différents domaines.
C’est le débat politique public,
l’action des acteurs en compétition, le fonctionnement de la machine
institutionnelle et surtout les enjeux collectifs qui font perdre la tête même
aux personnes les plus sensées et les plus originales dont les CV individuels
et les carrières publiques n’ont rien à envier au reste du monde, qui posent
problème.
La réponse à ces questions, n’est ni évidente ni
aisée, car le débat politique public en Tunisie est biaisé par l’esprit
partisan, inévitable et nécessaire dans une société « démocratique apaisée »,
mais quand le système politique subit des tremblements de terres incessants d’un
pays en perpétuelle « transition démocratique » où tout ce qui se construit sur le plan
institutionnel, risque facilement d’être remis en cause, une trêve des esprits
de bonne volonté s’impose. Penser en dehors des lignes de démarcation politiques
est pour nous tous une nécessité.
Comment diagnostiquer au-delà du jeu
subtil des acteurs politiques tunisiens et des enjeux individuels de surface,
les problématiques fondamentales qui sont à l’origine de cet échec collectif de
la démocratie en Tunisie. Nous sommes tous responsables et redevables de cet
échec.
Nous les citoyens qui continuons à
brûler les feux rouges en pleine capitale, et qui nous transformons en loups solitaires
qui s’attaquent sur la toile de manière humiliante, comme des guerriers
numériques à toute pensée indépendante qui nous déplairait. Donnez-nous un
micro et nous vous diront qu’il faut appliquer la loi à tout le monde même par
la force. Ce sont les mêmes citoyens en contradiction avec eux-mêmes, qui
continueront à brûler
les feux de circulation tout en affirmant soutenir le président dans ses volontés
de « nettoyage » ) تطهير) institutionnel et
social.
Mais ce sont aussi eux qui
descendent volontairement dans la rue pour ramasser de leurs mains les ordures
et nettoyer leur quartier, lors des campagnes nationales de propreté. Nous nous
rappelons tous de cette belle campagne qui a salué l’arrivée de notre nouveau
président à peine élu. Mais une campagne c’est un jour ou une semaine. Nous
avons besoin de plus. Comment faire sortir de chacun ce bon côté enfoui dans les tracasseries de la vie commune ?
Entrepreneurs qui échappent
subtilement aux impôts nécessaires pour payer la force publique qui veille à leurs trésors, pire encore
certains oublient de rembourser des millions de dinars de banques
publiques, reçus généreusement des décennies durant, pour soutenir leurs
entreprises.
Avocats, médecins, et d’autres
encore, aux revenus notoires presque tous éduqués gratuitement dans les écoles
et universités de la République et qui vous feront un scandale dès que
l’Etat tentera de récupérer par des
mesures fiscales, une infime partie de leurs revenus. L’honorable corporation
des médecins de libre pratique a résisté au plus strict des premiers ministres,
M.Hedi Nouira qui a tenté en vain durant les années 1970, de trouver une
formule pour fiscaliser les ordonnances. Et tous ils vous chanterons la
nécessité de sauver la République et d’appliquer la loi. Bien sûr a tous sauf à
eux-mêmes.
Pays légal, pays réel
Une problématique du doyen des démocrates Ahmed Mestiri.
Monsieur le président Kais Saïd dit,
du haut du sommet de l’Etat, ce que les citoyens d’en bas disent et redisent
depuis des années en sirotant leur thé au café du coin ou en pianotant sur
leurs claviers pour se lamenter sur les murs des pages des réseaux sociaux,
sans être entendus par leurs dirigeants bien élus, légitimes, mais incapables
de les entendre. Trop fiers de leur échafaudage démocratique pour voir les
failles du système et trop pris par les palabres que nécessite l’élection de
chaque membre des multiples instances constitutionnelles, pour être à l’écoute
de leur propre peuple, de leurs électeurs.
Comment notre système politique démocratiqueen est-il venu à cette rupture avec le peuple, qui était le principal reproche
que les démocrates des années 1970 adressaient à l’ancien régime ? Elus démocratiquement
ou pas élus démocratiquement nous serions dans le même schéma décrié très tôt
par un des pères de la lutte démocratique en Tunisie Maitre Ahmed Mestiri, qui
déjà dans les années 70 parlait de société légale et de société réelle, mettant
en évidence ce hiatus entre gouvernants issus de la lutte anticoloniale et leur
peuple. A cette époque on disait que les élections étaient tronquées, mais
comment expliquer la perpétuation de ce hiatus dans un système démocratique dix
ans après la révolution?
Peste ou cholera : dictature ou
impuissance démocratique
Déjà en 1987 la déclaration du 7
Novembre proclamait : « Notre peuple est digne d’une vie politique
évoluée et organisée sur la base du pluralisme des partis politiques et des
organisations populaires », proclamation trahie par les promoteurs d’un régime
qui s’est « renversé sur lui-même »
( "نظام انقلب على
نفسه") comme l’a si bien conçu
et écrit notre Poète National Sghaier Ouled Ahmed en introduction d’un des
ouvrages de Taoufik Ben Brik. Nous serions en 2022 en train de caresser des
rêves de guide suprême? Pure aberration historique. Pure chimère. Pure perte de
temps.
Les apprentis sorciers de la
politique doivent savoir que La
dictature n’est pas la volonté d’une personne hors norme contrairement aux
apparences et aux affirmations gratuites, c’est un contexte historique local et
international complexe, et cette page est historiquement révolue en Tunisie. Les tunisiens ne doivent pas être
forcés à choisir comme le disait Lénine si ma mémoire est bonne, entre la peste et le choléra, entre la
dictature et le pouvoir personnel d’un côté ou une démocratie inefficace de l’autre, où la parole est libre et l’action impuissante. La solution est
ailleurs.
La bataille des esprits et de l’intelligence
n’est pas gagnée
Où nous mènera notre président fort de ses convictions et de son
honnêteté, solide comme un roc dans son rigorisme juridique, et assuré d’une
large adhésion populaire, lui que nous n’avons pas entendu et peut être pas
pris suffisamment au sérieux, quand il a annoncé immédiatement après son élection
une « nouvelle révolution dans la loi ».
Notre président vit sa révolution
dans sa tête, il sait où il va. Mais nous nous ne le savons pas. Deux ans après
son élection aucun document officiel, écrit ne présente clairement ce qu’ilpense et ce qu’il envisage de faire. Tout citoyen non partisan qui veut tout
simplement comprendre ce que veut notre président, se trouve dépourvu face à
une masse de discours que même le site officiel de la présidence ne juge pas
utile de transcrire, à moitié enflammés par la force de conviction et l’indignation présidentielle de
l’état de dégradation de la réalité politique de notre pays, indignation
d’idéaliste et de novice en politique, et arme fatale qui lui a fait gagner le
cœur de ce peuple fatigué de politique et de politiciens et en perpétuelle recherche de leaders dignes
de sa confiance.
Monsieur le président a gagné cet
enjeu majeur déjà considéré par le philosophe et historien chinois, Confucius
cinq siècles avant notre ère, comme « pilier des empires », avant le blé et les armes : la confiance
du peuple.
Mais aucune réforme sérieuse, utile
et durable n’est possible sans gagner les élites de ce pays. Ce sont elles qui
sont en position de concevoir, d’inventer de comprendre
d’expliquer et de réaliser toute réforme et toute action petite ou
grande dans leurs secteurs respectifs. Les élites, existent en Tunisie dans les
partis, mêmes affaiblis, qui sont une émanation historique incontournable de
notre pays, comme l’a souligné le journaliste militant et homme politique M.Omar
Shabou dans une vidéo récente de soutien critique au président Kais Saied, et
la théorie de science politique de la fin des partis existe bien, mais ce n’est
qu’une théorie parmi d’autres, et les partis ne meurent pas quand on dissous leurs
appareils. Nous en avons eu la preuve avec le parti centenaire qu’est le
Destour/RCD toujours vivant par ses militants et ses réseaux même une fois
déclaré dissous légalement. Ce sont des phénomènes historiques qui s’imposent à tout le monde. De même Ennahdha ou le POCT ( Parti Ouvrier Communiste
Tunisien) ont existé de fait plusieurs décennies avant leur reconnaissance
officielle après la révolution. Penser la société en termes de lois est
insuffisant scientifiquement.
Les élites peuplent aussi les associations
et les Organisations Nationales et les administrations et les entreprises
publiques et privées. Les jeunes, chéris dans le discours présidentiel sont
aussi une composante des élites de ce pays. Toutes ces élites, instruites par
les sacrifices de ce peuple qui a payé leurs études, il faut bien leur parler
autrement que par des vidéos et des communiqués sibyllins de la présidence ou
par chroniqueurs interposés.
Les convaincre par un long, et
combien difficile travail de pédagogie politique, complètement absent pour l’instant.
Parler aux citoyens et leur donner la parole par tous les moyens et vecteurs
disponibles et en premier lieu les débats publics, vivants, et directs de face
à face qu’aucune autre technique de communication même les plus modernes et
technologiques, ne peut surpasser; c’est aussi une des multiples tâches
de tout chef, de surcroit de tout chef d’Etat.
Les lois seules même les plus
géniales, ne feront jamais une réforme. Juste elles s’aligneront dans les pages
grises du Journal Officiel. C’est dans les têtes que la grande bataille doit se
faire, une fois gagnée celle des cœurs. Nous restons sur notre faim.
jendoubimehdi@yahoo.fr
Source:
Tunisie
: Kaïs Saïed, fossoyeur ou réformateur de la démocratie (1/3) - Kapitalis
Tunisie
: Kaïs Saïed, fossoyeur ou réformateur de la démocratie (2/3) - Kapitalis
Tunisie
: Kaïs Saïed, fossoyeur ou réformateur de la démocratie (3/3) - Kapitalis