Leaders 11-4-2023
Mehdi Jendoubi
Universitaire.
Les fins de
journées oisives de ce saint mois de ramadan de l’an 2023, m’amènent à
reprendre la lecture d’un livre sur les médias en Tunisie, paru en français 40
ans plus tôt en 1983, et dont j’ai présenté à l’époque, un compte-rendu en
Arabe, pour un journal étranger.
Presse
Radio et Télévision en Tunisie, est une œuvre maitresse de 330 pages, de la littérature
médiatique tunisienne à peine naissante, rédigé par mes professeurs de
journalisme, à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI),
Fethi Houidi et Ridha Najar et publié par la Maison Tunisienne d’Edition (MTE),
vendu au prix de 3,5DT.
Riches de
leur double expérience professionnelle de journalistes, et de leurs cursus académiques,
couronnés par la soutenance un peu plus tôt, de leurs thèses de doctorat (l’une
sur la communication sociale, l’autre sur la télévision), les deux auteurs ont
su fructifier leur amitié ainsi que
leurs attaches avec le ministère de l’Information, pour donner naissance
à un livre écrit à deux, où ils synthétisent brillamment, l’ensemble de la
documentation administrative et académique fort éparpillée, disponible à l’époque
sur les moyens d’information et sur la politique médiatique conçue et appliquée
par le pouvoir. Ils y incluent une réflexion critique soutenue de certaines
pratiques médiatiques, eux qui pourtant sont réputés, proches du pouvoir et qui
ont assumé de hautes responsabilités dans le système médiatique tunisien.
Lacunes dans notre fonctionnement d’universitaires
Ce livre
reste incontournable pour comprendre une période clé couvrant les décennies
60-70, qui a vu naitre le nouveau système médiatique tunisien post-colonial, marqué
par la prise en main par l’Etat de l’ensemble des moyens d’informations, par la
forte empreinte officielle et officieuse sur le contenu, et par l’apparition de
la télévision nationale comme moyen de communication de masse, relayant la
radio qui a dominé les années 50-60.
Cette
décennie, tirant à sa fin, a vu aussi se dessiner les prémisses d’une timide
« ouverture », au lendemain de la crise politique majeure, qui a
opposé le pouvoir à la centrale syndicale UGTT, et qui a atteint son paroxysme
avec les évènements tragiques du 26 Janvier 1978.
Un livre ne
se réduit pas à son contenu ni à ses auteurs, il fait son chemin dans la
mémoire collective de la communauté scientifique, professionnelle et peut être
aussi nationale, c’est ce que les spécialistes appellent la réception d’une
œuvre.
Certes Presse
Radio et Télévision en Tunisie, s’est imposé comme ouvrage de
référence, et a été largement cité par un grand nombre de travaux ultérieurs et
de rapports sur les médias en Tunisie, mais la « qualité » de la
réception reste bien en deçà de la qualité intrinsèque du
livre, et révèle de fortes lacunes dans notre mode de fonctionnement
universitaire et scientifique, dans le champ restreint des études sur les
médias en Tunisie.
La bonne
volonté et l’engagement scientifique ne nous font pas défaut, mais notre
organisation, nos méthodes de travail, nos traditions (ou plutôt absence de
tradition), nos rapports personnels et professionnels sont de vraies pesanteurs,
qui entravent ou limitent dynamisme et créativité ou interactivité
intellectuelle et scientifique.
A l’échelle
de notre pays, Ce livre reste unique dans son ambition synthétique, puisque
dans la littérature tunisienne spécialisée dans les études sur les médias,
aucun autre titre depuis 40 ans, n’a été publié dans cet état d’esprit, de
faire le point de l’ensemble du système médiatique en Tunisie, malgré
l’accélération progressive de la créativité scientifique dans ce domaine, qui sera
« boostée » par l’apparition en 1982, de la Revue Tunisienne de
Communication (RTC), et ce aussi bien dans le microcosme académique que
dans le milieu professionnel.
Je n’ai
jamais assisté à un cercle de discussion, pour débattre du contenu de ce livre dès
sa parution, au sein de notre honorable institution, ce qui en soi pose
problème. Comment bouder les rares livres tunisiens, disponibles dans notre
propre spécialité ?
Ce livre n’a pas fait l’objet, d’un compte-rendu critique dans la revue Tunisienne de Communication, RTC comme cela est généralement d’usage dans d’autres disciplines scientifiques. A cette époque les ouvrages récents sur les médias, pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main.
Ni les
auteurs (puisse Dieu leur donner santé et longue vie), ni leurs collègues ou
élèves (dont moi-même), n’ont tenté d’actualiser ce livre vieux de 40 ans, et
Dieu sait si le système médiatique tunisien, complétement bouleversé depuis
1980, date de remise du manuscrit Houidi/Najar à l’imprimerie, mériterait une
description analytique globale qui intègrerait dans un seul « tableau
scientifique », l’ensemble des médias actuels, et surtout l’ensemble de la
littérature sur les médias tunisiens, comme l’ont si bien fait nos professeurs
Houidi et Najar pour les trois premières décennies de l’indépendance. Les
jeunes chercheurs, ont du pain sur la planche.
Ce livre n’a
pas été traduit en langue Arabe, alors que nos étudiants sont essentiellement
arabophones depuis les années 1980. Et pourtant nous avons en legs le fascinant
concept forgé par le génial Salah Garmadi, qui a prôné et pratiqué lui-même ce
qu’il a appelé le « retour du texte » (عودة النص
) à savoir, traduire vers l’Arabe des livres écrits par des tunisiens
francophones, pour permettre à l’ensemble de la nation de profiter du génie de
ses propres fils, qu’ils soient d’expression arabophone ou francophone.
Un livre
n’appartient pas à ses auteurs, sinon ils en garderaient le manuscrit dans
leurs tiroirs. C’est notre intelligence collective qui se joue, chaque fois
qu’un livre parait, et la manière de le recevoir durant quatre décennies après
sa parution, fait partie de notre propre histoire scientifique. jendoubimehdi@yahoo.fr
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