maître-assistant à L’Institut de Presse et des Sciences de l'Information (IPSI), Université de la Mannouba, 2010.
La formation des journalistes a constitué un axe important de nos préoccupations, et a fait l'objet de cinq travaux publiés respectivement dans la Revue Tunisienne de Communication (RTC) ainsi que dans le cadre d'un ouvrage collectif:
· LA FORMATION DES JOURNALISTES, RTC Nº 3, janvier-juin 1983, pp:29-40.
· L'EXPERIENCE MAGHREBINE DANS LE DOMAINE DE LA FORMATION DES JOURNALISTES, RTC Nº 11, janvier-juin 1987, pp:17-29.
· تعريف مهام الصحافي المهنية عنصر رئيسي في عملية وضع المناهج، المجلة التونسية لعلوم الاتصال، العدد 11، جانفي-جوان 1987،ص: 13-26.
· العلاقة المحتملة بين مؤسسات تكوين الصحافيين و الوسط المهني، المجلة التونسية لعلوم الاتصال، العدد 22، جويلية-ديسمبر 1992، ص: 81-91.
· ECART GRANDISSANT ENTRE FORMATION ET EMPLOI EN COMMUNICATION, ETUDE DE CAS DE LA SOUS REGION DE L'AFRIQUE DU NORD: TUNISIE, in INFORMATION SOCIETIES: CRISES IN THE MAKING?, ouvrage collectif, Orbicom UNESCO, Université du Québec à Montréal, 1999, pp: 106-122.
Cet axe de recherche qui s'est étendu sur plus d'une décennie puisque le premier article sur la question a été publié en 1983 et le dernier travail a été publié en 1999, nous a permis de synthétiser un certain nombre d'éléments d'informations et de développer une réflexion sur les thèmes suivants:
· Les finalités de la formation
· Les questions à dimension pédagogique
· Les questions relatives á l'institution de formation
· Le degré d'implication des acteurs professionnels
LES FINALITES DE LA FORMATION
Trop versés dans les questions purement pédagogiques et parfois par souci de pragmatisme, les enseignants qui sont les principaux initiateurs et animateurs du débat sur la formation des journalistes, ont tendance à éviter la question des finalités de la formation, parfois considérées comme évidentes (comme cela est le cas pour les finalités professionnelles) ou hors de portée (comme cela est le cas pour la question des besoins du marché).
Néanmoins certains auteurs ont traité de la question des finalités à caractère philosophique et social, des finalités économiques en terme de besoins en rapport avec la formation, ainsi que des finalités à caractère professionnel traitant la question du profil en rapport avec le poste de travail.
Finalités sociales
Il est évident que la littérature scientifique et philosophique a abondamment traité du rôle social des médias et plus spécifiquement de celui du journaliste, mais la prise en compte de ce travail de doctrine et les liens qui doivent exister entre ces acquis intellectuels et scientifiques et la formation, est faiblement présent lors de la conception des programmes de formation des journalistes.
Dans le contexte américain Philip M.Burgess et Paul S.Underwood, dans leur article NEW APPROCHES TO EDUCATIING THE INTERNATIONAL JOURNALIST, publié en 1970 dans la revue Journalism Quaterly (Vol 47, Nº3, 1970, pp:519) posent les trois questions suivantes: Quel est le rôle des mass médias dans une société alphabétisée et d'abondance?, Quel est le rôle des journalistes au sein des médias?, Quel devrait être son éducation et sa formation? C'est plus la démarche qui consiste à établir un lien entre réflexion doctrinaire sur le thème médias et société d'un côté, et le type de formation de l'autre, qui est novatrice, bien plus que le contenu de la réponse en soi.
Finalités économiques
Si l'affirmation de l'existence de besoins réels de cadres journalistiques a été redondante dans le discours aussi bien des promoteurs de la politique de formation que dans celui des enseignants durant les fréquents débats qui ont jalonné les différentes étapes de développement de l'IPSI, l'investigation scientifique de ces besoins supposés a toujours été défaillante. Au mieux le nombre approximatif des diplômés recrutés servait d'indicateur à posteriori de la réalité de ces besoins. Comme d'ailleurs l'allongement des listes de chômeurs parmi les jeunes diplômés pouvait alerter sur une certaine saturation du marché.
Finalités professionnelles
Si les finalités philosophiques et sociales ont été souvent absentes par souci de pragmatisme, et si les finalités économiques ont été plus affirmées que vérifiées, les finalités professionnelles axées sur la question du profil ont été relativement plus présentes dans le débat sur la formation. Nous avons modestement contribué à attirer l'attention sur la nécessité pour tout débat sur la formation des journalistes en Tunisie, de partir d'une connaissance précise du poste de travail et des tâches telles que définies par les milieux professionnels. Cette question a fait l'objet d'un article publié en 1987, dans la RTC d'où nous extrayons le tableau suivant:
TABLEAU COMPARATIF DES POSTES DE TRAVAIL SPECIFIQUES AUX METIERS JOURNALISTIQUES. Source: Jendoubi Mehdi: IDENTIFICATION DES ACTIVITES JOURNALISTIQUES ETAPE PREALABLE A TOUT PROGRAMME DE FORMATION DES JOURNALISTES, article publié en langue arabe dans : RTC, Nº11, janvier-juin 1987, pp:17-29. | ||
DOCUMENT DE FEFERENCE | METIER | DEFINITION DU POSTE |
UNIMEDIA Nº 8 (CENTRE BELGE D'INFORMATION ET DE DOCUMENTATION). |
REDACTEUR JOURNALISTE ET REPORTER |
Collecte de l'information Rédaction de différents types d'articles: réécriture de dépêches de communiqués, reportages, enquêtes, commentaires sur les événements Peut avoir une activité spécialisée: économie, culture... Peut être amené à exercer certaines responsabilités dans l'organisation de la rédaction: rubrique, service. |
SECRETAIRE DE REDACTION | Assume la responsabilité de la confection rédactionnelle et technique du journal. Exerce un rôle d'intermédiaire entre le rédacteur en Chef et les journalistes. Intermédiaire entre la rédaction et l'imprimerie. Assure le suivi et la bonne exécution des décisions du rédacteur en Chef et de la réunion périodique de
| |
REDACTEUR EN CHEF | Premier responsable de la rédaction Instigateur et gardien de l'idéologie du journal, de sa tenue et de sa présentation. Animateur de l'équipe des journalistes qui travaillent sous ses ordres. Interlocuteur de
| |
CLASSIFICATION DES PROFESSIONS BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (BIT), 1968. | JOURNALISTE | Collecte des informations et reportages de terrain : réalisation des interviews, couverture des activités publiques. Rédaction de papiers de différents genres. Commentaire des évènements et analyse prospective de leur portée. Soumet sa production au secrétaire de rédaction. Peut se spécialiser.
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| COMMENTATEUR RADIO TELEVISION | Collecte de l'information et commentaires dans le cadre des émissions de radio et de télévision. Dispose des mêmes compétences que le journaliste. Se spécialise dans la réalisation de reportages, d'entretiens et de commentaires destinés à être diffusés sur ondes. |
| SECRETAIRE DE REDACTION | Seconde le Rédacteur en Chef dans l'organisation et la supervision de la rédaction en vue de produire les papiers nécessaires à la réalisation du journal ou de la revue. Responsable de la relecture des papiers et de leur correction sur les plans aussi bien de la logique que de la langue. Adapte les textes qui lui sont soumis aux contraintes de la mise en page. Conçoit la mise en page. Chargé de la préparation de l'ordre du jour de la réunion de la rédaction, sous l'autorité du Rédacteur en Chef. |
| REDACTEUR EN CHEF | Le Rédacteur en Chef met en pratique la politique éditoriale, assure le lien avec Sélectionne et corrige ou ordonne la correction des papiers et les organise en vue de la réalisation de l'imprimé. En charge de la répartition des activités des rédacteurs et des reporters. Décide de la hiérarchie des événements et de l'espace accordé aux rubriques et aux articles publiés. Ordonne à l'imprimerie les travaux nécessaires à la réalisation de l'imprimé. En charge de la rédaction de l'éditorial.
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CONVENTION COLLECTIVE SECTEUR DE JORT, Nº78, 1975. | ATTACHE DE REDACTION (Niveau: Baccalauréat) | Agent chargé du tri et de correction des dépêches. Peut être chargé de travaux de rédaction, propose des titres. |
ATTACHE DE REDACTION PRINCIPAL (Niveau : Bac+2) | Assure les charges de l'attaché de rédaction ainsi que toute autre activité en rapport avec le fonctionnement de la rédaction. Rédige la synthèse des évènements. | |
REDACTEUR (Niveau : Bac+2+ ancienneté) | Chargé en plus des activités de l'attaché de rédaction principal, de réaliser la couverture des évènements nationaux et internationaux. Rédige les reportages, les interviews et les commentaires.
| |
REDACTEUR REPORTER (Bac+4) | Collecte, sélection des informations et rédaction de papiers en vue de leur publication. Rédige dans tous les genres : reportages, interviews, enquêtes, commentaires. Peut être appelé a seconder le secrétaire de rédaction. | |
SECRETAIRE DE REDACTION | Sélectionne les informations, décide des espaces alloués et établit le projet de maquette.
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REDACTEUR PRINCIPAL | En plus des activités du rédacteur reporter, peut avoir en charge l'encadrement d'une section de la rédaction.
| |
STATUT DU PERSONNEL DE |
JOURNALISTE (Bac+2) |
Collecte de l'information et réalisation des émissions d'informations radiophoniques et télévisées. Activités de terrain au niveau tant local qu'international.
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JOURNALISTE REPORTER (bac+4)
| Responsabilité d'encadrement des journalistes. Activités de coordination de la rédaction permettent la réalisation des journaux et des magazines. | |
JOURNALISTE PRINCIPAL (Bac+6) | Activités d'encadrement de Supervision de la réalisation des journaux et magazines radiophoniques et télévisés.
| |
STATUT DU PERSONNEL DE L'AGENCE TAP, 1974. | REDACTEUR (Bac+2) | Non spécifié |
REDACTEUR PRINCIPAL (Bac+4) | Non spécifié | |
REDACTEUR CONSEILLER ADJOINT (Bac+4+ancienneté) | Non spécifié | |
REDACTEUR CONSEILLER
| Non spécifié |
De la définition des postes de travail des journalistes telle que formulée par cette documentation internationale et nationale, il se dégage un consensus nettement perceptible sur les activités du journaliste-reporter qui se résument dans les activités de base suivantes:
· Collecte de l'information et activités de terrain.
· Analyse des faits sociaux et des événements.
· Rédaction de différents genres journalistiques.
· Rédaction spécialisée.
· Mise en page.
· Encadrement et organisation de la Rédaction.
Il revient aux concepteurs des programmes de formation et aux enseignants en charge des différents enseignements d'identifier les compétences intellectuelles et professionnelles nécessaires à la réalisation de ces activités, et de mettre au point les objectifs pédagogiques adaptés et développer les enseignements appropriés.
LES QUESTIONS A DIMENSION PEDAGOGIQUE
Observer, analyser, comprendre les faits sociaux, les relater dans le respect des normes professionnelles en prenant en compte aussi bien des spécificités du média que de l'audience, implique pour les journalistes une panoplie de compétences, de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être et d'outils, nécessitant une formation pluridisciplinaire que les écoles et les départements en charge de la formation, ont des difficultés à traduire dans leurs cursus, ce qui légitime une grande diversité dans les expériences de formation préconisées.
Néanmoins les longues listes de matières de cours qu'affichent les institutions de formation de journalistes dans le monde ne doivent pas cacher que certains axes fondamentaux, sont actuellement objet de consensus. Philippe Burgess et Paul S.Underwood résument ce consensus, dans un article publié dans la revue JOURNALISM QUARTERLY (Vol 47, Nº3, 1970), selon les objectifs pédagogiques suivants qui structurent l'ensemble des enseignements de journalisme:
· Développement de compétences professionnelles.
· Acquisition et intériorisation des normes professionnelles et éthiques.
· Développement et pratique de l'observation, de la collecte de l'information et de l'analyse.
· Développement de la connaissance spécialisée d'un champ disciplinaire déterminé.
· Acquisition et développement des méthodes et des techniques d'analyse des faits sociaux.
Il est de tradition dans le débat sur la formation des journalistes à l'échelle nationale de formuler de manière un peu différente ce consensus. Ainsi les axes souvent mentionnés dans les multiples rapports et compte-rendu de réunions pédagogiques sont:
Culture générale: axe essentiellement constitué de cours relatifs aux différentes branches des sciences sociales (droit, économie, science politique, sociologie...).
Langues: la maîtrise par le journaliste de sa langue maternelle, ou de la langue avec laquelle il va communiquer avec son public. De même une connaissance des langues étrangères est nécessaire pour un accès direct aux sources écrites et orales.
Techniques du journalisme: cet axe englobe tout ce qui est relatif à la collecte de l'information, à la rédaction journalistique, à la mise en page ou mise en ondes et de manière plus générale à tout ce qui se rapporte à la pratique du métier et au monde de la presse.
Les sciences de l'information: ensemble des notions, concepts et théories concernant les medias et la société.
Ce consensus dans sa version internationale ou locale, n'empêche pas l'émergence de divergences en ce qui concerne les proportions de ces différents axes dans un même cursus. Certaines institutions mettent l'accent sur la culture générale et vont parfois jusqu'a exiger un diplôme universitaire préalable à la formation en journalisme, d'autres privilégient la formation professionnelle dés le début du cursus qui démarre souvent juste après le baccalauréat.
L'expérience tunisienne dans le domaine de la formation des journalistes témoigne nettement de la portée de ce débat dont nous retrouvons les marques dans les trois réformes successives précédant le lancement récent de la réforme LMD englobant l'ensemble des institutions universitaires:
· 1968-1973: les étudiants inscrits l’IPSI doivent obligatoirement suivre une formation universitaire autonome parallèle á la formation que dispense l'IPSI, dans une autre discipline universitaire (littérature, droit, économie...).
· 1973-1992: Les étudiants reçoivent une formation unique au sein de l'IPSI, qui intègre dés la première année aussi bien des enseignements fondamentaux et de culture générale que des enseignements professionnels.
· 1992-2008 : Cursus privilégiant la formation fondamentale et la culture générale au premier cycle avec une réduction nette des enseignements professionnels, et inversement un deuxième cycle axé sur la formation professionnelle et une nette réduction des enseignements de culture générale.
LES QUESTIONS RELATIVES A L'INSTITUTION DE FORMATION
La comparaison des systèmes de formation de journalistes mis au point dans différents pays amène à constater la diversité des choix opérés: cela va de la création d'une section de journalisme dans une université à l'image des autres disciplines, à la création d'une structure de formation interne au sein d'un média. Ces deux modèles sont en fait des cas typiques le premier étant complètement séparé de la profession et le second complètement séparé de l'université. Une panoplie de formules intermédiaires est également observée. Voulant réaliser la synthèse de ces deux systèmes de formation crées au sein des universités, certaines institutions devenues de plus en plus nombreuses avec le temps, essayent autant que possible de s'ouvrir à la profession, comme cela sera explicité ultérieurement.
La littérature du débat sur la formation est riche des reproches adressés à chacun de ces deux modèles. On reproche aux enseignements dispensés au sein des universités, leur dimension trop théorique qui les amène à négliger le savoir faire professionnel, et les structures de formation à vocation professionnelle sont accusées de perpétuer des techniques professionnelles et une tradition journalistique, sans doter les diplômés des outils théoriques nécessaires qui peuvent leur permettre de remettre en cause cette tradition.
D'un autre côté le débat s'est focalisé sur le profil des enseignants. Certains affirment que les étudiants de journalisme doivent être formés par des journalistes et non pas par des enseignants universitaires qui ont certes les diplômes requis, mais sont dépourvus de toute expérience professionnelle et ignorent le vécu des salles de rédaction et du monde des médias. Mais l'expérience des institutions qui ont fait appel aux professionnels a montré ses propres limites dans la mesure où on s'est rendu compte que les journalistes les plus compétents dans leur milieu professionnel, ne sont pas forcément de bons formateurs quand on leur confie un enseignement de journalisme.
L'association des professionnels à la formation bute encore aux règlements universitaires et aux dispositions budgétaires. Les meilleurs professionnels ne sont pas dotés des diplômes requis par l'institution universitaire, ce qui constitue un double obstacle pour leur intégration dans le corps enseignant et pour la juste rémunération de leur contribution, et limite de surcroît les chances des institutions de formation de faire appel régulièrement aux meilleurs d'entre eux.
La qualité des formateurs dans le domaine de l'enseignement du journalisme est également liée à l'essor de la presse dans le pays concerné. Une presse qui a une grande tradition peut procurer à l'école de journalisme certains de ses meilleurs éléments, par contre une presse embryonnaire, dont les cadres de valeur sont peu nombreux, ne peut être que d'un apport limité pour l'école de journalisme.
L'observation de l'évolution du corps enseignant de l'IPSI au cours de la décennie 1980-90 permet de noter un doublement du nombre global des enseignants pleins temps et vacataires, passant de 38 enseignants en 1978 à 64 en 1991.
DISCIPLINE | PLEINS TEMPS | VACATAIRES | TOTAL | |||
SCIENCES DE L'INFORMATION | 1978 | 1990 | 1978 | 1990 | 1978 | 1990 |
13 |
23 |
2 |
3 |
15 |
26 | |
AUTRES DISCIPLINES |
7 |
11 |
16 |
27 |
23 |
38 |
TOTAL
|
20 |
34 |
18 |
30 |
38 |
64 |
EVOLUTION DES EFFECTIFS D'ENSEIGNANTS PLEINS TEMPS ET VACATAIRES PAR DISCIPLINE ENTRE 1978 ET 1990. L'IPSI PRINCIPAL ACTEUR DE LA FORMATION INITIALE DES JOURNALISTES EN TUNSIE, in LA FORMATION DES CADRES DANS LES DOMAINES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION: LA FORMATION DE BASE DES JOURNALISTES, rapport non publié rédigé par Mehdi Jendoubi, Hizaoui Abdelkrim et Larbi Chouikha, pour le Conseil Supérieur de la Communication, septembre 1991, p:34. |
La composition du personnel enseignant reflète la philosophie de la formation qui intègre enseignements spécialisés en journalisme et communication et une panoplie d'enseignements de sciences humaines et sociales. Si au niveau de l'ensemble des enseignants pleins temps et vacataires, la majorité appartient aux disciplines fondamentales, il faut noter une nette prédominance soit les deux tiers des effectifs, des enseignants de journalisme et de communication réunis dans la discipline sciences de l'information, parmi les enseignants pleins temps.
L'IPSI qui a fonctionné au début des années 1970 avec une équipe modeste a pu se doter deux décennies plus tard d'une équipe de 23 spécialistes ayant bénéficié d'une formation doctorale de haut niveau, le plus souvent en France. Un nombre croissant dispose en plus de la formation académique, d'une expérience professionnelle, tendance encouragée par la commission nationale de recrutement en sciences de l'information qui a valorisé l'expérience professionnelle des candidats, considérée comme un des critères de sélection. Plusieurs enseignants ont également bénéficié de stages à caractère professionnel auprès du Centre Français de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) en France et du Centre Africain de Formation des Journalistes et Communicateurs (CAPJC) en Tunisie.
LE DEGRE D'IMPLICATION DES ACTEURS PROFESSIONNELS
Née en Europe au XVIº siècle quelques décennies après l'extension de l'imprimerie, la presse, qui a connu son grand essor au XIXº en Europe et aux Etats Unis, a à peine émergé à cette époque dans le monde Arabe pour s'étendre un peu plus entre les deux guerres durant la première moitié du XXº siècle. En décalage historique sur le secteur, les écoles de journalisme ont vu le jour à la fin du XIXº en Amérique et entre les deux guerres en Europe et pour le monde arabe a démarré timidement en Egypte en 1935 pour s'étendre dans les années 1970.
Dans l'aire Européenne et Américaine, comme dans l'aire Arabe la formation a commencé bien en retard sur la naissance et le développement du secteur de la presse. Les responsables de journaux se limitaient au recrutement d'un homme cultivé, souvent de formation littéraire qui devait au contact de ceux qui l'ont précédé, acquérir un certain savoir professionnel. Cet état de fait favorisera plus tard la culture de la formation sur le tas que beaucoup de journalistes, longtemps après la naissance des écoles de journalisme continueront à défendre.
Cet écart plus ou moins grand en fonction des pays puisqu'il est en Europe de quelques siècles et en Tunisie d'à peine un siècle si on considère le lancement du journal Arraid comme symptomatique de la naissance d'une nouvelle activité qui en fait aura son plein essor quelques décennie plus tard; permet de comprendre les difficultés que rencontrent les écoles naissantes de journalisme, à se faire accepter comme partenaire légitime dont le rôle naturel est d'assurer la formation des journalistes. Dans tous les pays bien du chemin a été effectué pour passer de l'indifférence, de l'incompréhension et parfois de l'hostilité au dialogue, à la reconnaissance et même au partenariat formule avancée dans l'organisation des rapports entre les institutions de formation et les milieux professionnels.
QUELS ACTEURS?
Si les établissements de formation, sont l'espace naturel où se déroule la formation des journalistes, et si les enseignants ont souvent pris l'initiative d'ouvrir les débats sur les objectifs de cette formation, son contenu et ses moyens, ils ne sont pas les seuls acteurs concernés par la question. Le milieu professionnel qui est l'espace naturel vers lequel vont s'adresser les diplômés pour trouver de l'emploi, est tout autant concerné que responsable de la formation. La réflexion sur la formation ne peut être un monopole de droit ou de fait, d'aucune partie et les différents acteurs doivent être impliqués dans le processus de réflexion: autorités universitaires, enseignants, ministère de l'information et de la communication, Association et syndicat des journalistes, Association des Directeurs des Etablissements Journalistiques Tunisiens (ADEJT) représentant les employeurs, association des anciens diplômés, rédacteurs en chefs.
De fait cela n'a pas toujours été le cas dans beaucoup de pays, et particulièrement pour les écoles et les établissements de formation naissants en Afrique et dans le monde Arabe. Les différences entre la culture académique et la culture professionnelle et le niveau d'organisation de la profession souvent dépourvue de représentants institutionnels ou disposant de représentants aux activités réduites, peuvent exclure ou réduire la contribution d'une de ces parties au débat sur la formation des journalistes, ce qui ne peut que renforcer la méfiance, l'indifférence et l'isolationnisme.
A la lumière de nos entretiens avec des responsables de médias tunsiens effectués dans le cadre d'une enquête internationale comparée publiée dans un ouvrage collectif par l'Université du Québec à Montréal en 1999, les responsables des médias publics (ERTT/TAP), déclarent qu'il existe des rapports de coopération permanents entre leurs propres médias et l'IPSI. Ils offrent des opportunités de stages aux étudiants de l'IPSI. Ils considèrent néanmoins que ces rapports gagneraient à évoluer. D'autres responsables de médias privés considèrent, au contraire, que le monde de l'emploi et celui de la formation sont radicalement séparés et considèrent la représentation de la profession au conseil scientifique de l'IPSI où siègent le président de l'Association des Directeurs des Etablissements Journalistiques Tunisiens (ADEJT) et le président de l'Association des Journalistes tunisiens (AJT), comme purement formelle. Ils se déclarent sans aucune influence sur les orientations pédagogiques. La quasi-totalité des interviewés se déclarent favorables à la mise au point de contrats de partenariat dont il faut imaginer le contenu et qui permettrait de donner aux rapports avec l'IPSI un cadre institutionnel, de nature à faciliter toute action de coopération.
EVALUATION DES DIPLOMES
Employeurs et journalistes, ont des perceptions différentes quand on leur pose la question relative à l'évaluation des diplômés. Les employeurs sont globalement critiques et affirment nettement leur insatisfaction de la qualité des diplômés que l'IPSI met sur le marché de l'emploi. Il y a cependant une nette différence de ton entre une attitude moins tranchée et plus nuancée exprimée par les responsables qui dirigent les médias du secteur public (ERTT-TAP), qui sont de gros employeurs de journalistes et dont les rédactions sont majoritairement constituées de diplômés de l'IPSI, et une attitude des responsables des médias du secteur privé, où les journalistes diplômés sont relativement moins présents, fortement critique et très insatisfaite qui appelle à des mesures d'urgence pour une nette amélioration du niveau des diplômés et qui considère que "la qualité des diplômés" actuellement formés par l'IPSI "n'encourage pas à adopter une politique de recrutement plus dynamique".
Cette remarque est à nuancer car DAR AL ANOUAR, l'entreprise de presse privée qui a connu les quinze dernières années le plus grand essor du secteur privé et qui édite le quotidien qui a le plus grand tirage actuellement en Tunisie et deux hebdomadaires, emploie en grande majorité des diplômés de l'IPSI.
Les reproches les plus communément formulés par l'ensemble des responsables des médias, à l'égard des diplômés sont :
· Une "culture générale" défaillante et une connaissance limitée des questions nationales et internationales.
· Difficultés de maîtrise aussi bien de la langue arabe que du français avec une acuité plus grande pour le français.
· Sur le plan purement professionnel, une méconnaissance du terrain et particulièrement la recherche de l'information ainsi qu'une faible motivation.
Ces positions peuvent être nuancées par d'autres responsables qui :
· Reconnaissent la performance de certains diplômés de l'IPSI. S'agit-il d'un facteur personnel de niveau intellectuel de départ qui permet au diplômé de mieux tirer profit de la formation reçue, ou d'un facteur moral de grande motivation qui favorise un apprentissage sur le tas qui complète la formation initiale ?
· Affirment rencontrer les mêmes difficultés avec les diplômés des autres institutions universitaires quand ils affirment la nécessité pour eux de recourir pour le recrutement de rédacteurs, à des diplômés d'autres disciplines universitaires (lettres, droit, économie), auxquelles s'ajoutent la nécessité de doter ces diplômés de rudiments de journalisme.
· Proposent de hausser le niveau des candidats aux études de journalisme et de mettre au point un mécanisme d'orientation qui permet d'attirer des candidats de haut niveau intellectuel et rédactionnel et de forte motivation. Faut-il instituer un concours d’accès en plus du bac, exiger une moyenne plus forte obtenue au baccalauréat, instituer un test ou un entretien avant l'orientation définitive vers l'IPSI ou exiger un diplôme universitaire de premier cycle comme pré requis aux études de journalisme. Les propositions ne manquent pas et elles convergent vers une plus grande sélection pour faire du journalisme "une filière d'excellence".
Par contre les journalistes interviewés sont globalement satisfaits de la formation reçue à l'IPSI, et considèrent qu'elle constitue une plate-forme correcte de départ dans le monde de la production journalistique. Ils sont tout particulièrement fiers des techniques journalistiques qui font défaut aux journalistes non issus des écoles de journalisme. Leur formation leur procure confiance en eux-mêmes et facilite leur intégration dans le processus de production (ils sont jugés "selon la qualité de leur production"). L’exercice de la profession leur a permis de découvrir l’intérêt d'enseignements dont ils ne percevaient pas, étant étudiants, "l’intérêt" (certains enseignements de culture générale, traduction). Ils mentionnent néanmoins les lacunes suivantes :
· Durée limitée des enseignements à dimension pratique qui les mettent en situation de production (ils apprécient les quelques sorties sur terrain débouchant sur la production d'un journal école après une visite de deux jours à une région de l'intérieur du pays).
· Pédagogie traditionnelle peu motivante
· Equipements limités, vu le nombre d'étudiants (TV-radio) ou sous utilisés (laboratoire de langue, parc informatique).
· Faible présence des enseignements de journalisme au premier cycle depuis la réforme de 1992 qui réserve le premier cycle aux enseignements de culture générale et le deuxième cycle à la spécialisation.
· Le stage suivi en cours de formation est considéré comme trop court et d'un apport faible vu les conditions dans lesquelles il se déroule. Ils proposent d'en allonger la durée et d'en améliorer le suivi.
ENJEUX D'AVENIR
Toute formation est une projection vers l'avenir et les établissements de formation peuvent tirer un réel profit de tout élément d'information sur les besoins à moyen et long terme des médias en termes quantitatifs ou qualitatifs. Toute réforme des programmes doit tenir compte des besoins futurs du marché de l'emploi. L'analyse des entretiens des sept responsables médiatiques que nous avons interrogés sur la politique de développement envisagée par les médias, permet de penser qu'ils font face à une double exigence. Ils affrontent les bouleversements qu’entraîne l'informatisation et les opportunités qu'offrent les nouvelles technologies de l'information tout en consacrant l'essentiel de leur énergie à améliorer et à promouvoir les tâches traditionnelles qui sont loin d'avoir atteint un niveau satisfaisant, vu les retards accumulés. Les actions de développement envisagées sont :
· Promotion de la qualité rédactionnelle, qui reste un souci majeur avec une orientation vers le développement de l'information spécialisée.
· Développement de la documentation au sein des médias, largement défaillante de l'aveu de l'ensemble des responsables.
· Développement du photojournalisme resté le parent pauvre de la presse tunisienne malgré l'essor qu'il connaît dans le monde, et de l'archivage photographique défaillant un peu partout sauf à la TAP qui possède la collection de photos d'actualité la plus riche à l'échelle nationale.
· Développement du management médiatique et en particulier la messagerie de presse et la gestion de la publicité.
· Poursuivre l'informatisation des médias.
· Développement de produits multimédias et de sites d'actualités en ligne.
Les réponses de l'ensemble des interlocuteurs convergent quand on leur pose la question sur l'avenir du métier de journaliste et les compétences qui seront nécessaires pour l'exercer. Ils sont d'accord pour dire que les compétences traditionnelles constituées pour l'essentiel d'une formation intellectuelle, d'une maîtrise de l'expression écrite et d'une formation professionnelle spécifique au métier de journaliste, constituent une plate-forme qui sera toujours valable pour les prochaines années. Les compétences en relation avec l'extension des nouvelles technologies de l'information, qui commencent à transformer les conditions d'exercice du métier, sont un ajout inévitable à cette plate-forme.
Source:
Rapport de synthèse des travaux de recherche de Mehdi Jendoubi