كلما أدّبني الدّهر أراني نقص عقلي

و اذا ما زدت علما زادني علما بجهلي

الامام الشافعي


jeudi 5 juillet 1979

CONCEPTIONS OFFICIELLES DE L'INFORMATION EN TUNISIE DURANT LA DECENNIE 1970.

A différentes occasions, les responsables tunisiens, ont développé un discours plus ou moins abondant, afin de définir leur politique à l’égard de l’information et de ses moyens.

La plupart des textes qui décrivent cette politique sont des discours prononcés lors de manifestations nationales ou internationales concernant le domaine de l’information. Ces manifestations ont connu ces dernières années un développement particulier, grâce à l’action du Secrétariat d’Etat à l’Information et grâce au dynamisme qu’a introduit dans le domaine de l’information, la revendication d’un nouvel ordre mondial de l’information.

Une grande partie de ces discours revient à M.Hedi Nouira le premier ministre tunisien, qui constitue la source essentielle de notre présente partie. Nous tenterons de suivre l’élaboration de la conception officielle de l’information au fur et à mesure de son élaboration dans les différents discours du Premier Ministre.

Publications du Ministère de l’Information 1978


Le livre de M.Masmoudi : Economie de l’information en Tunisie (1) constitue dans certaines de ses parties, une première tentative de synthèse des conceptions officielles, sur le rôle des moyens d’information en Tunisie.


Edition AS-SABAH 1975



Nous essayerons en puisant dans ces documents officiels ou officieux, de dégager les grandes lignes du rôle de la presse.

Les différents documents officiels disponibles sur la presse en Tunisie, s’efforcent en vain de concilier les conceptions libérales dans le domaine de l’information, avec une situation de fait qui ne permet que l’existence d’une presse partisane.(2)

Il semble que la représentation que se fait l’élite tunisienne au pouvoir de la presse idéale est conforme dans ses grandes lignes à la conception libérale. Cela peut expliquer les termes avec lesquels sont formulés les textes juridiques qui déterminent le cadre théorique dans lequel évolue la presse tunisienne.

Le respect qu’on semble vouer en Tunisie, du moins sur le plan théorique, à la conception libérale, s’accompagne souvent d’une critique sévère de ce qu’on appelle la presse à sensation et des pressions économiques qui s’exercent sur la presse Occidentale.

M.Masmoudi après avoir rendu compte des critiques développées par Jean Louis Servan Schreiber, sur la presse Occidentale, précise :

« Ce mythe, la liberté de la presse profite plus aux producteurs qu’aux consommateurs de l’information, et les propriétaires des journaux occidentaux ne se privent pas, chaque fois qu’une menace pèse sur leurs marges bénéficiaires, de proclamer que la liberté de la presse est en danger ».(3)

(…)

LA PRESSE INTERMEDIAIRE ENTRE GOUVERNANTS ET GOUVERNES.

La presse est considérée comme un moyen efficace qui permet à l’appareil de l’Etat et du parti d’être en contact avec la population. Qu’elle soit, presse du parti ou presse « indépendante » ( non liée organiquement au parti ou à l’Etat), la presse tunisienne est appelée à se mettre au service d’un  projet  unique. Le concours des différents journaux à ce projet peut varier, mais il n’est pas question pour un journal ou un journaliste de refuser de participer à l’action globale de soutien à l’Etat.

M.Hedi Nouira (4), premier ministre et secrétaire général du parti socialiste destourien (PSD), rappelle aux journalistes qui font prévaloir leur liberté personnelle pour revendiquer une plus grande autonomie d’expression, qu’ils sont engagés dans une entreprise dont ils doivent respecter la ligne générale. Le journaliste précise-il, ne peut pas se dégager de toute obligation à l’égard de son journal ». Dans le cas d’une incompatibilité fondamentale entre les options du journal et celles du journaliste, le journaliste peut faire valoir la clause de conscience prévue par la loi.

(…)

La presse a pour rôle de mettre en relation deux entités : la société et le pouvoir. Elle informe le pouvoir sur la société et réciproquement. C’est ce que développe M.Hedi Nouira a l’occasion de la distribution des prix aux meilleures œuvres journalistiques pour l’année 1976 : (5)

« La presse constitue le trait d’union indispensable entre la société et les responsables de ses destinées. A l’intention de la base, elle vulgarise les différents aspects du plan de développement global et la philosophie du régime. Aux dirigeants de l’Etat et du parti elle rend compte des préoccupations des citoyens et des difficultés qu’ils affrontent dans leur vie quotidienne, difficultés qui requièrent des remèdes à court terme et à long terme, dans le cadre de l’union nationale et sur la base de la concertation et du dialogue qui ont constitué le credo de notre action dans toutes les batailles que nous avons livrées et qui ont débouché et qui débouchent encore sur la victoire (…)

 Notre société attend du journaliste qu’il ne se borne  pas à être une simple courroie de transmission, une caisse de résonnance, un imitateur servile, mais qu’il commente intelligemment, explique, oriente et stimule les énergies. »

La presse serait ainsi tout autant le porte-parole des gouvernés que celui des gouvernants. Cela suppose que gouvernants et gouvernés disposent des mêmes moyens d’action sur la presse. Puisqu’ils sont mis théoriquement sur le même pied d’égalité.

La presse est présentée comme un lien parfaitement symétrique dans lequel gouvernés et gouvernants vont dialoguer et agir l’un sur l’autre. Cette interaction étant régie par un code à respecter : « l’union nationale », le « dialogue » et la « concertation ».

Cette représentation officielle du rôle de la presse suppose que l’équilibre  est parfait entre gouvernés et gouvernants et que ces deux entités ont autant l’une que l’autre des moyens d’actions susceptibles de leur garantir une certaine présence dans la presse nationale.

La complémentarité entre gouvernants et gouvernés est aussi supposée acquise, dans la mesure   le pouvoir se présente comme un simple prolongement des gouvernés, la presse n’étant qu’un lieu de jonction et d’harmonisation.

Cela suppose que le pouvoir est en parfaite adéquation avec la société, dans la mesure celle-ci peut à tout moment agir sur le pouvoir. La presse est conçue comme une vaste enceinte à l’échelle nationale s’exerce cet effort d’harmonisation entre la société et le pouvoir politique.

Cette vision symétrique des relations entre le pouvoir politique et la société, pose comme a priori que toutes les composantes de la société peuvent se reconnaitre dans un pouvoir qui serait la synthèse des vœux et des possibilités de la société globale. L’idée de l’antagonisme entre une fraction sociale et le pouvoir, ou celle du pouvoir de classe, est catégoriquement rejetée.

La vision officielle du rôle de la presse en Tunisie, tend vers ce que Jean Marie Cotteret appelle la « communication idéale » (6)

« Une communication idéale supposerait la duplication du canal, c'est-à-dire une opération permettant la transmission simultanée dans les deux sens, sur un même canal, de l’information. Des efforts sont tentés dans ce sens –questions réponses dans une même émission- mais de manière encore expérimentale ».

Mais il reste à poser la question suivante : dans quelle mesure la presse tunisienne présente-elle réellement les conditions nécessaires à une duplication du canal ?

Si nous examinons la représentation que se donne de lui-même le système politique tunisien à la lumière de la typologie qu’établit LAVAU, (7) nous le classerons dans le deuxième cas. En effet LAVAU distingue trois situations types :

Cas 1- Un système politique qui se caractérise par une grande autonomie par rapport au système social.

Cas 2 – Un système politique dont les agents se caractérisent par une identification plus ou moins totale entre agents sociaux et agents politiques.

Cas 3 – Les agents du système politique sont dans une situation d’indépendance presque absolue par rapport au système social.

Si nous nous référons aux discours officiels, particulièrement nombreux de M. Hedi Nouira sur le rôle de la presse dans le système politique tunisien, nous remarquons que la représentation idéale qu’il se fait du système politique tunisien, est proche de celle décrite dans le cas 2. La presse étant le lieu où doit se réaliser l’opération de symbiose entre la société globale et le pouvoir politique.

Nous avons concentré notre attention tout le long de notre étude sur la représentation officielle du rôle de la presse, sur les discours du premier ministre pour deux raisons :

1-    Son rôle primordial dans la détermination de la politique tunisienne, entant que premier ministre et secrétaire général du PSD, au cours de la période qui nous concerne (73/76).

2-    L’intérêt particulier qu’il accorde aux problèmes de l’information, qui se manifeste par l’abondance de ses interventions sur ce sujet (8).

 

Pour donner une idée sur la vision que se font d’autres responsables tunisiens, sur la presse, nous nous référons à la thèse de M. Houidi (9) qui rend compte d’une enquête menée par le secrétariat d’Etat à l’information en 1977 auprès de personnalités occupant des fonctions politiques élevées, dans le parti et/ou l’Etat.

Se prononçant sur les objectifs de l’information intérieure, ces personnalités citent dans l’ordre :

1-    « renforcement de la souveraineté nationale

2-    consolidation de l’unité nationale

3-    assurance de la pérennité de l’Etat

4-    développement du civisme du citoyen

5-    sauvegarde des acquis de l’Etat

6-    promotion d’une information au service du développement. »

 

Il est remarquable qu’aucun de ces objectifs ne se réfère au rôle d’intermédiaire entre la société et le pouvoir politique, développée  par  M.Hedi Nouira. La presse n’est considérée que comme un moyen au service de l’Etat.

Dans un pays comme la Tunisie, le journal, la radio et la télévision ont pour rôle essentiel de faire prendre aux gens, l’habitude du fonctionnement des institutions. Ce sont les moyens d’information qui permettent de concrétiser aux yeux des citoyens, la présence quotidienne d’un pouvoir autre que celui de la force publique.

C’est sous cet angle que nous concevons le devoir que se font nos quotidiens de publier chaque fois en haut de la première page une information sur les activités du chef de l’Etat souvent accompagnée d’une photo ( ceci en plus du phénomène du pouvoir personnel).

L’imaginaire populaire traditionnel se représente le pouvoir comme étant la force publique au service du « HAKEM » (le gouvernant). En plus du contact quotidien qu’entretient la force publique avec la société, le pouvoir politique en Tunisie veut donner de lui-même une image moderne qui présente le pouvoir comme étant un ensemble de décisions prises par des institutions stables qui agissent au nom de la volonté nationale.

Se faisant l’écho du fonctionnement des institutions, la presse quotidienne participe à la lutte contre l’image anachronique du pouvoir comme une force arbitraire et fatale.

A ces deux constituants traditionnels du pouvoir, la propagande officielle à travers la presse répond par deux thèmes fondamentaux. Le premier est celui de l’unité  nationale garantie par un pouvoir national qui s’exerce dans un pays les luttes tribales ou régionales sont déclarées dépassées et les luttes de classes sont officiellement inexistantes.

Le second thème est celui de l’institutionnalisation du pouvoir. Le régime républicain institué avec l’indépendance a donné naissance à un faisceau d’institutions appelées à servir de cadre à l’exercice de l’autorité publique.

La presse a pour rôle d’habituer la population au fonctionnement de ces institutions. Tout en informant sur l’actualité publique, les moyens d’information reflètent l’organisation institutionnelle du pays. Ainsi le lecteur se familiarise avec la division institutionnelle sur laquelle est basée la pratique du pouvoir. Il apprend par exemple, qu’un plan s’élabore par les services techniques des différents ministères, que le ministère du plan élabore une synthèse qui est discutée à différents niveaux, qu’un projet est réalisé, qu’il est discuté puis adopté par le conseil des ministres puis présenté à l’assemblée nationale pour discussion et adoption.

Pour assurer la réussite du plan, clé de voute de la politique de développement en Tunisie, les medias doivent faire parvenir l’information sur l’économie aux différentes catégories professionnelles qui ont la charge de réaliser les objectifs du plan.

Ils doivent aussi se sentir concernés par cette œuvre dont la réussite dépend des possibilités d’échange qui peuvent exister entre l’Etat, les institutions économiques, les entrepreneurs, les citoyens et de manière générale entre tous les agents économiques.

C’est cet apport à l’action de développement que demande le conseil supérieur de l’information (10) à la presse :

« l’information doit mettre en exergue le fait que la préparation du plan est l’œuvre de tous, une œuvre collective, tant au niveau des responsables qu’au niveau des citoyens eux-mêmes. Les documents préparatoires du plan élaborés en commission sectorielle, sont l’œuvre d’une majorité de personnes n’appartenant pas à l’administration centrale. »

Ayant pour fonction officielle, dans le cadre de la fidélité à l’Etat, la production de messages de soutien au système politique et à ses dirigeants, la presse tunisienne se limite souvent à rendre compte  du fonctionnement de ce système en l’isolant de l’environnement dans lequel il agit. Alors qu’il devait selon les vœux officiels, concrétiser les liens entre le système politique et la société, la presse tunisienne ne disposant pas d’une marge d’autonomie suffisante par rapport à l’Etat, accentue le fossé qui existe entre le système politique et la société.. Cet état de fait n’est pas de nature à permettre à la presse de jouer un rôle quelconque, dans la lutte contre les représentations traditionnelles et anachroniques du pouvoir.

LA PRESSE UNE ECOLE DU PEUPLE

Cette Logique symétrique de relations entre le système politique et la société dans le domaine de la presse est tempérée par la notion de la presse, instrument d’éducation de la population. M. MASMOUDI  (11) développe cette idée en comparant l’effet que peut avoir la presse dans un pays développé et dans un pays en voie de développement :

« En effet, dans un pays développé, le nombre de journalistes par milliers d’habitants étant plus grand, les sources d’informations sont plus nombreuses. L’opinion publique plus développée intellectuellement et plus capable de discernement, ne se laisse pas induire en erreur quand le journaliste faillit a sa mission. Par contre dans un pays en voie de développement, l’opinion publique très sensible à l’impact de la presse, a besoin d’être objectivement informée et continuellement formée. Le journaliste qui assume cette mission doit jouir d’une culture solide, d’une honnêteté intellectuelle sans faille et d’une passion sans limite pour sa profession, pour être à même de suppléer l’enseignant, parce qu’il s’adresse à des milliers d’esprits en friche. Ce rôle est d’autant plus délicat que le nombre de journalistes dans ces pays est très restreint, et que cette mission éducative s’entend dans son sens le plus large ».

S’il est nécessaire de voir la différence qui existe entre l’apport et l’influence des mass medias dans un pays développé et dans un pays en voie de développement, nous pensons que si M. Masmoudi surestime les capacités de résistance des sociétés « développées », il sous-estime par contre celle des sociétés « en voie de développement ».

Nous pensons que « les milliers d’esprits en friche », n’existent pas dans les pays du tiers monde. Il existe « des milliers d’esprits »façonnés par des cultures différentes, qui tentent d’affronter avec plus ou moins de succès, les difficultes du monde moderne.

La presse devient ainsi une sorte d’école publique continue chargée de l’éducation populaire (12) :

« Ce processus d’éducation est essentiellement un problème d’information. Celui qui consiste à fournir, à des gens qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, de nouvelles connaissances ou les moyens de pousser plus loin des études inachevées et de les motiver de façon à leur faire accepter les changements et adopter de nouvelles méthodes en dépit, et par l’abolition d’un conservatisme traditionnel, profondément ancré dans les esprits ».

Cet effort d’éducation vise un certain changement social que M. MASMOUDI (13) définit en ces termes :

« Les moyens d’information contribueront de la sorte au processus de changement des attitudes et des coutumes sociales qui sont profondément enracinées, en permettant au citoyen de prendre conscience de l’innovation, de l’essayer et de l’adopter. Enfin ces moyens peuvent constituer la source d’information initiale pour ceux qui ont une influence sur l’opinion et sont capables de répandre en direction des secteurs conservateurs, les idées nouvelles ».

La notion de la presse comme école du peuple, nous permet d’établir un parallélisme significatif entre le type de relations que suppose le système scolaire (enseignant/élève) et celles que suppose le type de relations qu’entretient la presse avec la population. La presse n’est pas seulement un lieu où se rencontrent et s’ajustent le système politique et la société, mais elle se situe dans une position de force par rapport à la société puisqu’elle doit dispenser un certain enseignement.

Si nous approfondissons cette image, nous trouvons que d’un côte il y a l’Etat et de l’autre la société. L’Etat étant responsable des programmes d’éducation que la presse doit dispenser à la population.

Comme dans la logique du système scolaire, qui suppose que l’enseignant est appelé à certains moments à évaluer les capacités intellectuelles de son élève, il arrive aux dirigeants tunisiens (et au-delà des dirigeants, tous ceux qui se considèrent comme habilités à le faire en vertu de leur appartenance à l’Elite) (14), de juger de la « maturité » de leur peuple. Les officiels qui président les réunions  publiques se « félicitent » souvent au début de leurs discours, de la « participation de la population », de « l’abondance des questions », de « l’intérêt porté à certains sujets », du « niveau des débats », etc…

Mais il arrive aussi aux dirigeants et à l’Elite (certaines fractions de l’Elite), d’afficher une plus grande réserve quand à la « maturité » de la société tunisienne, C’est à ce type de raisonnement que s’attaque Mohsen TOUMI  (15) en développant certaines contradictions officielles :

« Le 23 Février 1931, le jeune avocat Habib BOURGUIBA, dans un article de la Voix du Tunisien dénonçait le régime d’exploitation coloniale auquel était soumis son pays et appelait ses concitoyens à la révolte. Le Résident General français de l’poque, M. MANCERON, engage contre le journal des poursuites. Mais les tunisiens sont prêts à manifester et au besoin à affronter les forces de l’ordre pour marquer leur soutien à leur porte-parole. Quarante et un an plus tard, le président de la république, BOURGUIBA évoque  en ces termes l’incident : « l’évènement était d’une grande importance. Pour la première fois, des articles écrits dans une langue étrangère (en français) au pays provoquaient la prise de conscience des masses… ».

Alors une question : comment un peuple qui en 1931 usait si bien de son jugement à la lecture d’un article rédigé dans une langue étrangère, pourrait-il mal user de sa liberté de jugement en 1978, confronté avec une presse libre, rédigée dans sa propre langue ? Il y a là une contradiction inexplicable ».

COMMENT LA PRESSE TUNISIENNE ENVISAGE-T-ELLE SON ROLE ?

Sans avoir une politique fondamentalement différente par rapport à l’Etat, les journaux tunisiens développent dans leur discours sur le rôle de la presse en Tunisie, des nuances auxquelles il faut prêter une attention particulière.

Les nombreuses polémiques qui opposent à différents moments AS-SABAH et AL-AMAL, nous indiquent qu’a l’intérieur du système de la presse quotidienne en Tunisie, ces deux journaux représentent deux pôles autour desquels se regroupent d’un côté la presse du parti et de l’autre la presse non contrôlée directement par le parti. Nous pensons que l’étude de ces polémiques, représente un grand intérêt pour les études sur la presse tunisienne, dans la mesure où ce sont des moments qui amènent souvent la presse à diffuser des textes plus ou moins élaborés sur la manière dont elle conçoit son rôle dans la société.

Ces polémiques qui opposent essentiellement, AL-AMAL et AS-SABAH, ont aussi pour fonction d’un côte de renforcer le journal AL-AMAL dans son rôle de premier défenseur du parti et du gouvernement et de lui donner une certaine vigueur militante, et d’un autre côte de concrétiser l’effort de démarcation du journal AS-SABAH par rapport à la presse partisane et gouvernementale.

Nous rencontrons souvent dans la presse du parti des mises en garde contre tous ceux qui veulent exploiter le thème de la liberté d’opinion pour s’attaquer d’une manière plus ou moins dissimulée au gouvernement. Evoquant dans un de ses éditoriaux le rôle de la presse du parti et de la presse nationale en général, dans l’explicitation de la politique du gouvernement, l’ACTION (16) écrit :

« A l’évidence, c’est la presse du parti qu’il revient en premier lieu, d’expliquer cette politique, de lui susciter un soutien enthousiaste et une participation responsable auprès du grand nombre de citoyens. Mais si elle est à l’avant-garde de cette action, elle n’est pas la seule impliquée en tant que support de l’entreprise de développement. Toute la presse nationale est en effet concernée au plus haut point par le succès de la bataille engagée par la Tunisie pour vaincre la misère et réaliser ses ambitions. C’est dans ce cadre que la liberté de la presse doit s’exercer ».

Dans cette même logique, AL-AMAL écrit en 1973, dans un bref article intitule « liberté de la presse »(17) :

« Si cela [l’information exclusive] procure un certain gain commercial, est-il admissible et est-il permis que quelqu’un en fasse du commerce avec la renommée de son Etat, et l’avenir de ses relations avec ses voisins et sème le doute dans ses institutions nationales et régionales ? Si le journaliste se considère détaché des engagements sur lesquels repose la vie de la nation même, il donne la preuve ainsi de son inconscience de la gravite de son rôle et de son incompétence à jouir de la liberté. Celle-ci suppose en effet qu’on lie étroitement les devoirs et les droits, qu’on privilégie l’intérêt public sur l’intérêt particulier et les intérêts à long terme sur les intérêts immédiats ».

Les différents propos sur la presse que nous pouvons rencontrer dans la presse du parti, présentent généralement une interprétation restrictive de la notion de liberté de la presse, derrière laquelle on accuse les détracteurs du régime, de vouloir se réfugier.

AS-SABAH  par contre, tout en affirmant haut son soutien à l’Etat, oppose aux journaux du parti un discours diamétralement opposé  à cette presse partisane qu’elle accuse de ruiner l’Etat par "excès de zèle" et "ignorance". Développant le type de soutien que le journal veut accorder à l’Etat, AS-SABAH  écrit : (18)

« Notre participation à travers notre action journalistique, est basée sur notre conviction que le soutien absolu et aveugle du gouvernement, fait de celui-ci le premier perdant. Par contre notre soutien doit être basé sur l’extirpation de la rumeur par la nouvelle, et sur l’opinion honnête lors de la discussion ou lors de la révélation des erreurs et des abus. Nous comprenons qu’il n’existe pas de gouvernement qui ne se trompe pas et nous reconnaissons qu’il n’existe pas de plume qui ne se trompe pas. Mais il existe des plumes qui incitent au travail et qui créent l’enthousiasme et l’élan constructif qui refuse les modèles imposés ».

 

C’est dans ce même sens que va l’organe de l’Union Générale des travailleurs Tunisiens, EC-CHAAB (19). Dans un de ses éditoriaux le journal commence par se référer à un discours de M.Hedi NOUIRA (premier ministre) qu’il qualifie « d’important » et dans lequel le journal voit une « vue profonde » de la mission de la presse.

Revendiquant le droit à la critique pour la presse, et dénonçant l’époque de la « coopérativisation forcée »(dénonciation qui est une marque de soutien au gouvernement de M.Hedi NOUIRA), EC-CHAAB écrit :

« Rien ne peut permettre de dévoiler cette erreur [le fait de dévier des principes proclamés] que la liberté d’opinion et d’expression dont la liberté de la presse est un des aspects les plus puissants, les plus ordonnés et les plus influents. Il arrive souvent qu’on utilise le muselage des bouches pour commettre des erreurs. La coopérativisation forcée a fait de l’oppression des libertés un moyen pour se perpétuer, mais elle s’est attirée en fin de compte  l’explosion du refus. Nous avons foi dans la valeur du principe pur du travail coopératif et dans ses bons moyens ».

 

CONCLUSION

Il n’y a pas de textes théoriques fondamentaux qui traitent de la conception que se font les responsables politiques tunisiens du rôle des moyens d’informations.

Cependant nous pouvons dégager à travers les discours et les documents à caractère administratif dont nous pouvons disposer, deux grandes idées :

1)    La presse au service de l’Etat promoteur de l’action de développement, qui représente la tâche urgente que doit réaliser le pays.
En plus des références historiques sur le rôle du parti dans le mouvement national, cette action de développement est présentée comme une source de légitimité pour le système politique tunisien.

2)    La presse intermédiaire entre gouvernants et gouvernés.

Mais une presse abandonnée de son public ne peut pas servir d’organe efficace, ni pour la légitimation d’un pouvoir politique, ni pour la contribution à la transformation consciente de la société.

EXTRAIT :

Thèse de doctorat de 3eme cycle en sciences de l’information de Mehdi Jendoubi : L’INFORMATION SUR L’ECONOMIE NATIONALE DANS LES QUOTIDIENS TUNISIENS DURANT LA PERIODE DU IV EME PLAN DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL, Université Paris 2, 1979. (pp : 17-35)

 

 

 Notes:

(1) Masmoudi (Mustapha), Economie de l’information en Tunisie, Dar Assabah, Tunis.

(2) Cette analyse concerne particulièrement, la période sur laquelle porte notre étude 1973/76. L’apparition à Tunis d’un hebdomadaire de langue Arabe ER-RAI et d’un autre de langue française DEMOCRATIE, tous deux porte-paroles d’un mouvement politique (Démocrates Sociaux) est une nouvelle donnée dans la politique interne en Tunisie. Le style critique de ces deux hebdomadaires est à rapprocher du style virulent développé par ECH-CHAAB, organe de la centrale syndicale l’UGTT, au cours de l’année, 1977 et qui débouche sur un affrontement direct entre le parti et le syndicat.

(3) Masmoudi (Mustapha), Economie de l’information en Tunisie, Dar Assabah, Tunis.

(4) Hedi Nouira, INFORMATION&COMMUNICATION, Publications du secrétariat d’Etat a l’information, Tunis 1979 (discours du 22 Janvier 1977)

(5) Nouira H. op. cit, P :49

(6) COTTERET (JM), GOUVERNANTS ET GOUVERNES, PUF, col Sup, Paris, 1973, p :137.

(7) LAVAU (G), LE SYSTEME POLITIQUE ET SON ENVIRONNEMENT, Revue Française de Sociologie, XI,XII No Special, 1970/71, pp : 109-181.

(8) Le secrétariat d’Etat à l’information les a rassemblées dans un recueil. Op. cit. INFORMATION &COMMUNICATION.

(9) HOUIDI (F), INFORMATION ET DEVELOPPEMENT, thèse de 3 eme cycle, sciences de l’information, Paris 2, 1978,  (voir page 191).

(10)            Conseil Supérieur de l’Information, RECOMMANDATIONS ET RESOLUTIONS, Secretariat d’Etat a l’iformation, Tunis 16 Juin 1976.

(11)            MASMOUDI (M), op.cit. P :88.

(12)            M.MASMOUDI, op.cit, p : 88.

(13)            M.MASMOUDI, op.cit, p : 89.

(14)            CAMAU (M), Le discours politique de légitimité des Elites tunisiennes, Annuaire de l’Afique du Nord, 1971, pp. 25-28.

(15)            TOUMI (Mohsen), La Tunisie pouvoirs et luttes, Le sycomore, Paris, 1978, P : 102.

(16)            CHIHI (M), l’engagement au service de la liberté, L’ACTION, Tunis 10 Juillet 1977.

(17)            ABOU HASSEN, La liberté de la presse, AL-AMAL, Tunis 9 Février 1973 (traduction). Sans l’expliciter, cet article qui évoque le problème de l’exclusivité, semble être une critique adressée à AS-SABAH, pour son attitude lors de la fuite de la prison civile de M. Ahmed Ben Salah (ancien ministre et promoteur de la politique des coopératives). AS-SABAH a fait un effort d’information plus ample que les autres journaux nationaux.

(18)            AS-SABAH, Tunis 11 Novembre 1977 (traduction).

(19)            HAMOUDIA (Hassen), La presse permet d’élever la parole de la justice, ECH-CAHAAB, Tunis 8 Octobre 1976 (traduction). Ancien mensuel de l’UGTT, ECH-CHAAB, devient hebdomadaire à partir du 23 Janvier 1976, paraissant tous les vendredis. ECH-CHAAB change de périodicité, de forme et de style, ceci va lui valoir un essor unique dans l’histoire de la presse tunisienne depuis l’indépendance.

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