Kapitalis 30 Septembre 2014
Au-delà des promesses des candidats aux élections, retrouver la Tunisie de 2010, sans autoritarisme ni corruption, est déjà une grande ambition pour les 5 années à venir.
Par Mehdi
Jendoubi*
Les candidats à
la gestion des affaires publiques parachèvent leurs dissertations, désignées
abusivement comme programmes électoraux. Je les lirai attentivement, mais je ne
voterai pas sur programmes. Voici mes raisons.
Retrouver les
performances de la Tunisie de 2010 est déjà un programme ambitieux en terme de
taux de chômage, d'entrées touristiques, de recettes d'exportation, de collecte
des ordures et de traitement des déchets de construction, aujourd'hui
abandonnés un peu partout, de gestion des routes et des espaces protégés, comme
les sites archéologiques ou écologiques.
Je ne parlerai
pas des chiens errants installés dans mon quartier pour la première fois depuis
25 ans que j'y réside, ni des couvercles en fonte des canalisations publiques,
systématiquement volés.
Mais c'est
revenir à l'ancien régime, diront avec indignation et amertume beaucoup de gens
de bonne volonté. Evidemment, mais la performance sera d'obtenir ces résultats
sans dictature et sans corruption, et cela n'est pas un exercice simple.
La Tunisie vit
depuis plus de 3 ans un vaste mouvement de renouvellement de son élite
dirigeante jamais connu depuis l'indépendance, ce qui d'ailleurs explique le
nombre élevé d'aspirants à la gestion des affaires publiques, qu'il s'agisse
des candidats aux élections législatives ou à la présidentielle. Une grande
partie de cette élite a été largement exclue de toute responsabilité depuis
plusieurs décennies, comment pourra-t-elle disposer de l'expérience dans la
gestion du pouvoir et l'accès aux données de base nécessaires à la conception
de programmes adaptés aux besoins et tenant compte des moyens disponibles.
La plupart des
programmes présentés par les candidats aux élections sont de simples vœux
pieux. Ce n'est pas de leur faute, c'est le prix collectif du pouvoir
personnel, que nous payons.
Dans dix ans,
les choses auront changé, des milliers de citoyens auront été associés à la
gestion publique par le biais des municipalités et des conseils régionaux et
des milliers de cadres de toutes obédiences auront de hautes responsabilités
dans les délégations, les gouvernorats et les cabinets ministériels, et ils
auront la connaissance, l'expérience et les données pour concevoir des
programmes politiques associant ambition et réalisme.
D'ailleurs
l'accès de la troïka au pouvoir a de fait engagé ce processus puisque ceux qui
étaient dans les prisons et en exil ont été pour la première fois confrontés
aux difficultés de l'exercice du pouvoir. De retour dans leurs partis, ils y
apporteront sûrement une touche de réalisme et de compétence.
Les objectifs
sérieux et ambitieux que nous retrouvons formulés dans plusieurs déclarations
politiques tels que la lutte contre le chômage, la réhabilitation économique
des régions de l'intérieur, la lutte contre la misère appelée pudiquement
pauvreté touchant environ 15% de la population sont des objectifs à long terme
et l'expression magique de changement de «modèle de développement» est une
œuvre complexe de plusieurs décennies. Les partis qui auront la naïveté d'en
faire des programmes politiques pour les 5 prochaines années seront vite
confrontés à leur impuissance et ridiculisés. Et n'oublions pas le temps qui
passe vite.
Le personnel
politique n'étant pas actuellement habilité à proposer des programmes qui ne
soient pas de simples desiderata, qui le fera donc à sa place?
La Tunisie est
riche de milliers de cadres de haut niveau dans tous les secteurs. Ils peuplent
les administrations, les entreprises publiques, les banques, les universités,
les organisations nationales et les associations. Ils connaissent mieux que
quiconque leurs secteurs respectifs et ils seront fatalement les acteurs
concernés par toute réforme qu'ils sauront faire réussir ou bloquer. Ils sont
incontournables dans les deux cas.
Réussirons-nous
à leur redonner la parole et à les associer au vaste projet de diagnostic de la
situation, d'analyse et de propositions d'actions, dans la tradition du plan de
développement national, initiée en Tunisie par Ahmed Ben Salah et abandonnée
déjà avant la révolution, lorsque les objectifs de développement ont été
transformés en programmes présidentiels, dans une dérive de personnalisation
extrême du pouvoir et de confusion entre propagande factice et développement.
Nous avons tous encore en tête les fameux points des programmes présidentiels
du régime déchu.
Retrouver la
Tunisie de 2010, sans autoritarisme ni corruption, se donner les moyens et le
temps de concevoir un vaste plan pour les 3 prochaines décennies permettant de
clarifier le chemin à parcourir collectivement et les moyens à mobiliser, en
plus de la saine gestion des affaires courantes de l'Etat, est déjà une grande
ambition pour les 5 prochaines années. A ceux qui me promettront plus, j'oppose
mon scepticisme citoyen.
* Journaliste
formateur
Source :
Retrouver la Tunisie de 2010, sans dictature ni corruption (kapitalis.com)