Il est aisé de remarquer à la simple lecture de la presse quotidienne, que celle-ci baigne dans une atmosphère d’optimisme qui est justifiée par la confiance que doit susciter chez chaque citoyen, tout ce qui se fait dans le pays.
Les termes
« confiance », « optimisme »et bien d’autres du même
registre sont souvent utilisés par les quotidiens que nous étudions. Présentant
dans son « bulletin »(éditorial), du premier Janvier 1975, le bilan
de l’année écoulée. L’ACTION écrit : « Le bilan de l’action économique,
sociale et politique est positif, rassurant et réconfortant malgré les
perturbations innombrables que subit l’économie mondiale ».
Faire preuve
d’optimisme est une attitude systématique de la presse tunisienne face à la
situation économique globale du pays, à l’action des autorités et aux
perspectives qui attendent l’économie tunisienne. Cette attitude commune de la
presse tunisienne face à ces trois éléments, s’explique par leur interdépendance.
La presse ne peut pas développer une attitude critique sur un de ces éléments
sans que cela ne soit perçu comme une critique qui est adressée aux autorités.
En effet, si
la situation économique générale est présentée comme catastrophique, l’Etat qui
fonde toute sa légitimité sur le rôle essentiel qu’il se donne dans le développement
du pays, sera remis en cause. De même si les perspectives économiques ne sont
pas présentées comme prometteuses, cela ne peut que mettre en cause l’Etat qui
parait ainsi incapable d’éviter au pays un avenir incertain.
Toute
information qui est de nature à remettre en cause même indirectement cette légitimité
de l’Etat (à savoir qu’il est en train de bien conduire la tâche de développement du pays), est à éviter.
Par contre, tout ce qui est de nature à apporter la preuve quotidienne que
l’Etat (au sens large d’institutions officielles), est en train de bien
accomplir sa tâche de promoteur de l’action de développement, est au contraire à
développer abondamment.
Entre les
deux types de discours que nous venons d’évoquer et qui sont diamétralement
opposés (la critique systématique de l’Etat ou l’éloge continue de ses réalisations),
la presse tunisienne, tout en adoptant franchement le second type, sécrète un
discours d’un type particulier, que nous appelons le « discours
critique » et dont nous tenterons plus loin de cerner les contours.
Le
« discours optimiste » qui s’étend à tous les domaines de l’activité économique
(ainsi que les autres activités), donne du pays une vue idyllique qu’exprime
ainsi LA PRESSE dans un de ses éditoriaux (20 Mars 1975) :
« Que la Tunisie soit indépendante avec des
institutions démocratiques, que les tunisiens jouissent de la liberté et des
fruits de leur labeur, que le niveau de vie augmente et que le pays progresse
rapidement sur la voie du mieux-être, voilà qui parait un don naturel de la
providence… »
Nous pouvons
brosser le tableau suivant des activités économiques de la Tunisie telles
qu’elles sont présentées par les quotidiens nationaux :
UNE INTENSE ACTIVITE INSTITUTIONNELLE
La Presse
tunisienne rend compte régulièrement des
réunions des commissions diverses (parti/plan/régions), qui constituent les
centres d’où
émanent les grandes décisions. Nous relevons à longueur d’année des titres tels : « les
réunions des commissions du parti ont commencé. La commission des industries établit
son programme d’action » (AS-SABAH 8 Janvier 1975. « M…préside la réunion
de la formation professionnelle et de l’emploi du PSD », « M…préside
la première réunion de la commission de préparation du plan »( L’ACTION
10 Janvier 1975).
Couvrant à
peu près tous les domaines de ce type d’informations, la presse vise à rassurer
les citoyens en mettant en évidence l’effort de réflexion mené au plus haut
niveau. Les décisions économiques ne sont pas laissées au hasard. Il y a des
personnes et des institutions dont le rôle est de réfléchir et d’harmoniser les
différents aspects de l’économie du pays. Ces réunions sont nombreuses et régulières
et rythment toutes les autres activités du pays.
UNE FORTE
PROJECTION DANS L’AVENIR
Ayant pour
principal fil conducteur le document du plan, l’information économique des quotidiens
tunisiens va se faire l’écho des différentes prévisions économiques et des réalisations
au fur et à mesure de l’avancement des travaux.
Un certain
nombre de prévisions, ne peuvent pas être réalisées et certains projets
inscrits ne verront pas le jour, d’autres seront partiellement ou entièrement retardés
dans le temps.
Théoriquement
plus on avance vers la fin du plan, le nombre de réalisations concrètes,
s’accroit et moins la presse sera amenée à évoquer des prévisions, comme cela est le cas à
chaque période de lancement du plan.
Les
quotidiens en effet accordent au cours de la première année de lancement du
plan, une large attention aux prévisions pour montrer à leurs lecteurs le chemin
à parcourir et les bienfaits futurs de la politique actuelle. Mais dans la
mesure où
la planification est une option continue du gouvernement et non pas une décision
purement conjoncturelle, à chaque fin de plan on commence à parler du plan des années
suivantes et de ses prévisions.
Des
informations plus ou moins détaillées circulent sur les différents projets envisagés
et permettent ainsi à la presse de fournir de manière continue aux lecteurs des
développements supplémentaires sur les actions futures. Une grande partie de
l’information économique est de ce type.
La
presse tunisienne, à la suite de déclarations de responsables à tous les
niveaux, s’adonne à de longs développements sur la Tunisie au terme du plan, de
la décennie ou du siècle (transport, logements…).
Ce
type d’informations traitent du Grand Tunis (dans son aspect final), de la
construction de logements ou d’autosuffisance dans la production de certains
produits (ex. ciment).
Ainsi,
la crise de l’habitat par exemple est souvent le thème de discussions entre
tunisiens (loyers élevés, prix élevés des terrains de construction, rupture de
stocks de matériaux de construction, etc…). A ces préoccupations quotidiennes,
la presse nationale répond par des reportages ou des enquêtes où l’on expose
les efforts entrepris par le gouvernement en vue de réduire ces difficultés. On
parle ainsi des prévisions du plan en cours de réalisation, on les compare aux réalisations
de la décennie écoulée, on évoque périodiquement les capacités de réalisation
des différentes sociétés de construction et on met en évidence l’aide de l’Etat
aux citoyens pour acquérir un logement.
Les
quotidiens nationaux veulent ainsi entretenir l’espoir du lecteur qui souffre
quotidiennement de ce type de problèmes. Ainsi pour contrecarrer l’angoisse du chômage
on évoque abondamment les efforts réels de création d’emplois et le développement
des centres de formation professionnelle. Mais l’on parle tout autant des prévisions
futures et des projets plus ou moins élaborés, dont un certain nombre sont
encore à l’état d’idée en l’air. C’est ainsi qu’aux milliers de chômeurs réels,
on oppose des milliers d’emplois virtuels promis par la presse. L’amalgame
entre les différents types de projets, ne permet pas de distinguer la période
future plus ou moins éloignée où ces prévisions seront réellement concrétisées.
Cet
amalgame (volontaire ou non) entre le réel et le virtuel constitue un des
fondements de ce que nous appelons le « discours optimiste ». Nous n’entendons
nullement dire par là
que toutes les affirmations de la presse tunisienne sont fictives, rien que parce
qu’elle parle du futur proche. Nous constatons tout simplement que les prévisions
des performances de l‘économie tunisienne sont plus ou moins facilement
identifiables dans l’espace temporel du futur.
Avide de
projets porteurs d’espoir, la presse tunisienne livre à ses lecteurs, par l’intermédiaire
de responsables nationaux en tournée dans les différentes régions du pays, un
grand nombre de prévisions et de projets souvent encore au stade de l’étude ou
tout simplement à l’état de simple idée. Les quotidiens nationaux s’emparent de
déclarations sur certains projets, les développent à partir des éléments élémentaires
disponibles et s’efforcent de mettre en évidence les résultats futurs
escomptes. Poussée à l’excès, cette
pratique peut déboucher sur un gonflement artificiel des projets. C’est le cas
du projet de création d’une faculté de lettres annoncée par différents
responsables dans différentes régions. A chaque fois la presse nationale
reproduit la déclaration comme s’il s’agissait de projets différents.
LES REALISATIONS PONCTUELLES FOISONNENT
Constituées
essentiellement de comptes rendus de réunions publiques, de visites officielles
dans les régions ou d’activités multiples à caractère économique, les réalisations
ponctuelles foisonnent. L’accent est mis sur l’effort consenti à tous les
niveaux. Cela donne du pays, l’image d’un chantier en pleine construction. Nous
relevons entre autres titres : « Médenine parmi les projets de développement
pour 1975, l’équipement de 50 puits de surface », « Sfax :
sortie de la deuxième promotion des centres de développement rural pour les
productions artisanales », ( AL-AMAL 8 Janvier 1975). « Gabes :
où en sont les expériences des procèdes modernes dans la production agricole »
(AS-SABAH 8 Janvier 1975). « Création d’une société de matériaux de construction
à Sousse »(LA PRESSE 11 Janvier 1975).
Le ton
interrogatif du titre d’AL AMAL n’est pas suivi d’une évaluation des différents
aspects de l’agriculture. L’article ne fait qu’énumérer les réalisations dans
le domaine. La Tunisie en effet, s’équipe, forme des hommes, fait bénéficier
tout le monde de l’action de développement. Cette dynamique se retrouve aussi
bien à l’échelle nationale ou à l’échelle globale de l’économie, qu’a l’échelle
régionale ou sectorielle. C’est l’aspect factuel qui prédomine dans ce type
d’informations, dont le but est de décrire ce qui se réalise.
APPROCHE JUSTIFICATIVE
Si la Tunisie
possède des responsables et des institutions pour réfléchir et si le pays est engagé
dans une vaste action de réalisations concrètes, c’est qu’il y a une politique sous-jacente
qui vise à promouvoir le pays, à prévoir ses difficultés et à en faire profiter
tous les tunisiens, c’est dans cette perspective qu’il faut envisager le rôle
de la presse tunisienne et son apport au système politique tunisien. Rendre
compte du fonctionnement du système et justifier son action (en vue de lui
garantir l’adhésion du plus grand nombre), telles sont les deux axes principaux
de la politique d’information des quotidiens tunisiens.
Ce type
d’informations est titré comme suit : « Pour toucher le maximum de
jeunes les structures de la formation professionnelles doivent s’adapter
continuellement aux exigence de l’évolution économique », « l’équilibre
économique et social à Sfax : A la recherche d’un meilleur emploi »(L’ACTION
8 Janvier 1975). « Signes de prospérité pour l’année 1975, Faire face à
la politique de développement et augmenter les exportations pour garantir la
paix économique et sociale du pays »(AL AMAL 10 Janvier 1975). « Médenine :
le gouverneur consacre une journée par semaine pour travailler au siège de la délégation
de Tataouine » (AL AMAL 12 Janvier 1975). « Au cours des neuf
premiers mois de l’année 1974 : Amélioration de la situation de notre
balance commerciale et augmentation de nos exportations de 124% par rapport aux
neufs premiers mois de 1973 » (AS-SABAH 10 Janvier 1975).
Ce type
d’articles dépasse l’aspect purement descriptif auquel se limitent souvent un
grand nombre d’articles de la presse tunisienne. Tout en étant conforme à
l’esprit optimiste, ces articles contiennent des informations plus ou moins détaillées
sur les problèmes auxquels le pays doit faire face. Leur fonction essentielle
est de justifier l’action du gouvernement et celle des institutions officielles
et de montrer l’apport des autorités dans l’amélioration des conditions de vie
des tunisiens.
Les
institutions officielles sont souvent présentées comme des centres de
rayonnement qui transforment dans le bon sens (celui du developpement0 leur
environnement. Mais dans cette action de transformation, ces institutions
rencontrent des difficultés qui relèvent soit de la nature (le Sahara qui
avance, la sécheresse, etc…), soit du manque de moyens (la Tunisie pays aux
ressources limitées, manque de cadres…), soit de la résistance de la population
au progrès (modes archaïques…).
Cette chaine
Réflexion/Projection/Action/Justification que nous retrouvons au niveau de
chaque numéro et de chaque journal, constitue le schéma de base suivant lequel
s’organisent les informations sur l’économie nationale. Chaque élément de ce schéma,
tout en remplissant une fonction spécifique, participe au projet final :
donner une image rassurante et optimiste qui réconforte les Tunisiens sur le
sort de leur économie et les amener par conséquent à gratifier les responsables
de cette action politique.
LA TUNISIE UNIE COMME UN SEUL HOMME
Engagée dans
une vaste action de développement, passionnée par ses réalisations, la Tunisie présente
une autre caractéristique : elle est unie.
Cette image
qu’offre d’elle-même la Tunisie est largement développée dans les articles de
la presse tunisienne. Elle constitue l’archétype optimiste à partir duquel
abondent les multiples images optimistes que brossent régulièrement les
journalistes tunisiens de leur pays.
Tout ce qui
est de nature à diviser en classes ou catégories sociales à caractère régional
ou culturel est volontairement réduit à sa plus simple expression.
« Cette unité a été construite, renforcée et consolidée grâce
à l’action inlassable du Parti Socialiste Destourien ; a permis au pays de
remporter de très grandes victoires. Parmi celles-ci la plus importante est assurément
celle remportée sur les tendances égoïstes qui poussent les peuples à se
diviser en classes sociales antagonistes… »(L'ACTION 11 Janvier 1975).
Si l’on évoque souvent les différentes formations
socio-professionnelles (Agriculteurs, ouvriers, patrons…), c’est pour préciser
qu’elles sont engagées dans une œuvre commune, chacun apportant dans son
domaine la contribution nécessaire au développement du pays dans le cadre du
contrat de progrès (formule d’alliance sociale entre différents groupes
socio-professionnels, préconisée par M Hedi Nouira, Premier Ministre).
Cette unité nationale trouve son assise sociale dans
l’importance accordée à ce que le discours politique officiel appelle la classe moyenne :
« La classe moyenne constitue désormais 83% du peuple
tunisien »affirme L'ACTION dans un de ses éditoriaux (L’ACTION 2 Mai 1976).
L’unité nationale a connu selon un éditorial du journal AL AMAL,
trois étapes essentielles qui lui donnent tout son contenu. Dans une première
phase elle a consisté dans l’espoir commun pour l’accès à l’indépendance
nationale, vient ensuite la phase de la construction de l’Etat et de sa
dotation des moyens de sa souveraineté. La dernière phase est celle actuelle,
qui consiste à lutter pour le développement économique et social du
pays ».( Abdallah Amami, L’unité nationale et le renouvellement de son
contenu, AL AMAL 21 Janvier 1975).
L’union des Tunisiens est tout autant présentée comme
condition que comme conséquence du développement. Elle est condition du développement
dans la mesure où elle permet la contribution de tous à un même projet. Mais
elle est aussi conséquence du développement, dans la mesure où elle est le résultat
de l’adhésion collective au mode de développement proposé.
C’est ainsi que la presse tunisienne rappelle fréquemment que
toute remise en cause de cette politique officielle ne peut déboucher que sur
une riposte vigoureuse des différents groupes sociaux. L’ACTION écrit dans ce
sens :
« Les gigantesques progrès accomplis par la Tunisie
suscitent l’enthousiasme de l’écrasante majorité du peuple tunisien (…). Entre
la société tunisienne qui se construit au prix d’efforts inlassables, sérieux
et positifs, et cette poignée d’agitateurs professionnels à la solde d’idéologies
étrangères il y a certainement un fossé (…). Pour sauvegarder notre effort de développement
contre toute atteinte, le gouvernement, le parti, les travailleurs, et les
chefs d’entreprises se dressent comme un seul homme face à quiconque tenterait
de saboter cet effort, de le paralyser, ou de porter préjudice à notre unité
nationale, déclare notamment M.Hedi Nouira, Premier Ministre ». (L'ACTION
23 Janvier 1975).
Les deux thèmes
qui permettent le plus à la presse tunisienne d’évoquer cet état indivisible
des tunisiens sont les fêtes nationales et les troubles intérieurs :
« La fête du travail, la fête de la dignité. Le peuple
tunisien célèbre aujourd’hui la fête du travail avec un légitime sentiment de fierté… »(L’ACTION
1 er mai 1976).
La fête du
travail en Tunisie n’est pas perçue comme la fête des seuls ouvriers. La
logique de la presse tunisienne n’accepte pas la division du peuple en ouvriers
et non ouvriers. C’est le peuple entier qui est travailleur (y compris les détenteurs
privés des moyens de production).
Pendant les périodes
de troubles intérieurs, la presse tunisienne affirme avec vigueur qu’il ne
s’agit là que de phénomènes qui ne remettent pas en cause la cohésion de
l’ensemble social. Il s’agit toujours d’actes « inexplicables » réalisés
par des personnes « irresponsables ». Nous lisons ainsi dans L’ACTION
du 4 Mai 1976 à la suite d’une grève des ouvriers de la Société Nationale de
Transports :
« Le fait que le droit de grève soit reconnu dans notre
pays ne doit pas constituer une excuse pour les abus d’individus agissant
visiblement, en dehors de toute légalité contre l’intérêt de la collectivité
(…) Au moment où la nation toute entière, avec ses
travailleurs dans tous les secteurs de l’activité économique et sociale vient
de fêter les acquis considérables obtenus dans les domaines de l’emploi et de
la promotion sociale, on se doit d’être ferme avec ceux qui par leur irresponsabilité
tentent de porter atteinte à l’harmonie de l’édifice social ».
Ainsi à la
« société toute entière », à la « collectivité », à « l’édifice
social », on oppose des « individus irresponsables ». La grève
pour la presse nationale n’est pas un signe de cassure sociale, bien au
contraire c’est l’occasion pour le journal d’appeler avec fermeté à la cohésion
sociale et à l’isolement de ceux qui poussent à la grève.
Le discours
globalisant de la presse tunisienne sauve la cohésion de la société (au niveau
du discours et non pas de la réalité), en isolant ceux qui sont porteurs de
division. Ceux-ci sont toujours réduits à un statut d’individus qui ne
constituent nullement un groupe organisé et représentatif.
Tout en étant
un discours de rassemblement, le discours de la presse est aussi un discours
d’exclusion. Nous dirons même que cette exclusion (de l’individu dangereux),
est la condition nécessaire de la cohésion du groupe, qu’affirme le journal.
Sinon comment le discours de la presse tunisienne va-t-il sans se remettre en
cause, informer sur les troubles sociaux ?
IL Y A LA TUNISIE, LE TIERS MONDE ET LE MONDE.
Orientée
vers l’avenir, en pleine action pour la réalisation de son développement, unie
« comme un seul homme » contre ceux qui veulent la détruire de l '’intérieur,
la Tunisie se compare au monde qui jette sur elle un regard admiratif.
L’étranger
sert à la presse nationale comme repoussoir, en présentant le mauvais exemple
que la Tunisie a su éviter. La Tunisie parait ainsi comme un ilot de prospérité
économique entouré de pays qui souffrent de problèmes économiques insurmontables.
L’ACTION
finit ainsi un de ses éditoriaux :
« Non loin de nous, il y a des remous, les dangers sans
cesse menaçants, l’inflation terrible, l’appétit insatiable de domination, d’hégémonie,
les aberrations et les injustices flagrantes. A nous d’agir en toute lucidité
(…) pour affronter solidairement notre destin, relever les innombrables défis
et garantir à la Tunisie par un socialisme qui respecte l’homme, les moyens de
la prospérité et du rayonnement continus ».
L’étranger
est généralement assez vaguement délimité. Il comprend le Tiers Monde et les
pays développés. Mais nous trouvons aussi une division plus précise : Il y
a les pays développés que la Tunisie doit rattraper (bien que
conjoncturellement ils souffrent de certains problèmes) et il y a les pays du
Tiers monde dont la Tunisie essaye avec succès de ne pas partager le sort.
Commentant
le type de relations qui unit le parti et les organisations nationales, AL AMAL
précise :
« …Alors que certains régimes appartenant à notre Tiers
monde essayent de faire pression sur les organisations professionnelles et
populaires et essayent de limiter leurs activités, de les dissoudre et de les
transformer en organisations qui ne font qu’entériner ce qui a été décidé au
sommet, le parti appelle à haute voix et insiste auprès de ces organisations
pour qu’elles s’activent et pour qu’elles renforcent leurs structures et leur
cadre d’action, pour qu’elles assument leurs rôles dans l’effort de développement
national et pour qu’elles participent en toute liberté, toute franchise et
toute efficacité à l’élaboration des orientations et des décisions… »(AL
AMAL 15 Mars 1975).
Réussite
heureuse parmi tant d’échec, la Tunisie fait figure vis-à-vis du Tiers monde,
d’exemple à suivre aussi bien pour ce qui est du régime établi que des réalisations
concrètes accomplies. Nous lisons dans un article intitulé : « L’enseignement :
performance rarement réalisée dans le Tiers monde », ce qui
suit :
« Le régime mis en place par Bourguiba est un modèle et
un exemple pour les pays en voie de développement… » (L’ACTION 15 Juin
1976).
Ce type de
comparaison entre les performances de la Tunisie et celles du Tiers monde est systématiquement
présent dans les articles de la presse nationale qui en fait ne font que
reprendre une démarche chère au personnel politique officiel en Tunisie.
Schématiquement
nous pouvons dire que le tiers monde sert comme indicateur du point de départ
de la Tunisie ( état de sous-développement et le monde occidental comme point
d’arrivée. L’effort de développement consenti par la Tunisie est ainsi mesuré
par le maximum d’éloignement par rapport au tiers monde et le plus de
rapprochement des pays industrialisés.
Si la presse
tunisienne précise que cet effort de développement de la Tunisie est ressenti
en premier lieu par ceux qui en bénéficient (à savoir tous les Tunisiens sans
distinction de classe), elle accorde aussi une grande importance au regard que
jette le monde sur le pays (…)
Nous
retrouvons à longueur d’année dans les quotidiens tunisiens des reprises
d’articles parus sur la Tunisie aussi bien dans les pays occidentaux, dans les
pays socialistes que dans les pays arabes. De même nous trouvons des déclarations
de personnalités politiques étrangères qui expriment leur satisfaction de ce
qu’elles ont pu constater après une tournée en Tunisie.
Ces éloges
abordent différents thèmes : la personnalité du président de la République,
la stabilité du régime, la sécurité garantie aux investisseurs, la réussite économique
en Tunisie, la place du pays dans le monde, le passé glorieux…etc. On précise régulièrement
que l’auteur de ces éloges est soit un grand journal qui a une grande audience,
soit une personnalité internationale. Le témoignage est d’autant plus précieux
que le journal est plus grand et que l’auteur est plus important.
Reprenant un
article sur la Tunisie dans un quotidien régional français, LE PROGRES,
L’ACTION précise qu’il s’agit du journal « le plus important de la région Rhône-Alpes.
Dans cet article l’auteur en parlant du président Bourguiba, cite De
Gaule :
« Dans ses mémoires d’espoir, le General De Gaule avait écrit à son sujet : j’ai devant
moi un lutteur, un chef d’Etat, un politique dont l’envergure et l’ambition
dominent la dimension de son pays. Et plus loin cet hommage : « Ce Bourguiba
a quelque chose de commun avec moi : le courage de prendre rendez-vous
avec l’histoire ». (L’ACTION 2 Mai 1976).
Le souci de
la presse tunisienne de démarquer le pays de l’ensemble du Tiers monde, non pas
en tant que groupement international de pays solidaires mais en tant que pays sous-développés,
instables…, et d’autres ensembles plus réduits (ex. pays africains…), reste
constant. Nos quotidiens trouvent un appui considérable dans la reprise de témoignages
faits dans ce sens, dans la presse internationale.
Rapportant
le témoignage paru dans un journal Yougoslave POLITIKA, un quotidien national
publie :
« Le
journal POLITIKA a fait remarquer que la Tunisie qui appartient à la famille
des pays non alignés est considérée selon les informations disponibles aux
Nations unies parmi les pays africains qui ont un PNB évalué à 500$ (2$= 1 DT),
par personne »(AL AMAL 15 Avril 1976).
Ce regard
admiratif qui lui vient de l’étranger procure à la Tunisie des avantages économiques
(afflux de touristes, des investissements…). Il procure au pays des
gratifications internationales tel que l’Oscar délivré par le Financial Times
pour le comportement économique de la Tunisie au cours de l’année 1974. La
presse tunisienne a fait un grand écho à cette gratification venue d’un journal
de renommée mondiale et à la compétence internationalement reconnue.
L’ACTION écrit
dans ce sens :
« Dans un monde traumatisé par l’inflation, la gestion
saine des affaires d’un pays donne est devenue pratiquement un fait
exceptionnel. Parmi les trois catégories de pays : industrialisés, en voie de développement et
producteurs de petrole, ceux qui ont resiste a l’assaut des prix sans cesse
galopants se comptent sur le bout des doigts (…). Des observateurs parmi les
mieux places dans le monde ont cite la Tunisie comme exemple dans sa lutte réussie
contre l’inflation. Aujourd’hui, c’est le FINANCIAL TIMES qui vient de décerner
à notre pays son Oscar pour avoir réussi exceptionnellement bien à modérer
l’inflation… »(L’ACTION 11 Février 1975).
Ces
multiples témoignages de l’étranger ont pour rôle de réconforter les Tunisiens
et de renforcer les propos que tiennent les quotidiens tunisiens. C’est le
monde entier avec toutes ses composantes politiques contradictoires, qui pense
que la Tunisie est dans le bon chemin. C’est ce que dit expressément un éditorial
d’AL AMAL qui après avoir passé en revue
les thèmes classiques de la « cohésion nationale », de la
« lucidité et de la clairvoyance »des dirigeants, précise :
« Ces constatations seraient des témoignages relevant du
domaine de la prétention, de l’autosatisfaction ou du narcissisme gratuit, si
ce n’étaient les étrangers qui en témoignaient »(L’ACTION 2 Mai 1976).
CONCLUSION
Les
quotidiens tunisiens au cours des années 1973/76 développent l’image suivante
de la Tunisie :
1) La Tunisie est
un pays qui mène une politique économique réfléchie (il y à des organes de réflexion au niveau
du parti et de l’Etat), et elle est orientée vers l’avenir (beaucoup de projets
sont annoncés), l’Etat et ses différentes institutions sont les catalyseurs de
cette activité intense que connait le pays. Il œuvre pour le bien de tout le
monde et mérite d’être soutenu.
2) Dans cette œuvre
de développement la Tunisie est unie « comme un seul homme », elle
ignore toutes les formes de divisions possibles, elle est d’autant plus unie
qu’elle doit faire face à certains individus isolés qui veulent lui nuire.
3) Dans un monde en
pleine crise, la Tunisie est un exemple de réussite. De grandes personnalités
internationales de tous bords le reconnaissent.
4) Des spécialistes
le constatent (Oscar du FINANCIAL TIMES). Elle a su éviter certains écueils des
pays du Tiers Monde.
EXTRAIT :
Thèse de doctorat de 3eme cycle en
sciences de l’information de Mehdi Jendoubi : L’INFORMATION SUR L’ECONOMIE
NATIONALE DANS LES QUOTIDIENS TUNISIENS DURANT LA PERIODE DU IV EME PLAN DE
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL, Université Paris 2, 1979, (pp :
160-173).
Titre et sous-titre ont été rajoutés pour les besoins du blog.
STATUT DE LA CRITIQUE DE PRESSE AU DEBUT DE LA DECENNIE 1970
AUDIENCE DES QUOTIDIENS TUNISIENS AU DEBUT DE LA DECENNIIE 1970