Jendoubi Mehdi
Le journaliste
Tunisien, Bulletin Association
des Journalistes Tunisiens, Juillet 1984, pp: 12-13.
La presse
tunisienne est vielle de plus d’un siècle (123 ans exactement, si l’on prend la
naissance en 1860 du RAID comme point de départ pour le journalisme tunisien).
Il est important de signaler que contrairement à bien d’autres pays, qui ont
connu le journalisme avec la colonisation, la Tunisie avait déjà son premier
journal, deux décennies avant la chute du pays sous la domination coloniale en
1881.
A vrai dire le métier
de journaliste est né bien après les débuts de la presse, et la Tunisie a connu
durant plusieurs décennies le journalisme, sans journalistes professionnels.
Trois quart de siècle
après la naissance du RAID, La Tunisie ne compte que 43 journalistes « journalistes
et assimilés ayant droit à la carte
professionnelle » dont dix Tunisiens uniquement.
Quelques décennies
plus tard en 1977, une enquête du ministère de l’information avance le chiffre global
de 520 journalistes exerçant dans les différents médias en Tunisie.
On ne peut pas s’empêcher
de dire que ce chiffre fait du métier de journaliste, une profession très peu répandue
en Tunisie. Sur une population active tunisienne de plus d’un million et demi
de personnes, la proportion de journalistes ne peut être qu’infime.
D’autres professions, bien plus jeunes ont pu en l’espace de quelques années se doter d’une armée de professionnels. Pour rester dans le domaine de la communication, le métiers de dépanneur de télévision, né en Tunisie à la fin des années 1960, et qui s’est particulièrement développé, dans les années 1970, est bien plus pourvu en professionnels que le journalisme.
L’observation de
l’évolution de l’exercice du métier de journaliste, nous permet de dégager
trois phases importantes :
La première
couvre toute la période coloniale et s’étend même jusqu’à la fin des années
1950, est essentiellement caractérisée par la prédominance des journalistes non
professionnels. Ce sont les ancêtres professionnels des journalistes tunisiens,
et sont constitués essentiellement de militants qui ont fait avant tout du
journalisme pour défendre des idéaux politiques, syndicaux ou culturel.
Le journalisme ne
constituait pas pour eux une source principale de revenu, et était même pratiqué,
sans contrepartie matérielle. La gratification morale était pour eux
fondamentale.
C’est cette
population de journalistes mi-militants mi-amateurs, qui a permis à de
nombreuses publications nationalistes tunisiennes, de survivre avec des moyens
fort réduits.
Il revient aux
journalistes des années 1980, par un effort de recherche biographique de faire
connaitre les visages les plus marquants de cette population de pionniers du
journalisme tunisien.
La deuxième phase
commence à partir du début des années 1960 et s’étend jusqu’à la fin des années
1970. Apres l’indépendance du pays, l’Etat Tunisien renforce ses rouages et éprouve
le besoin de se doter des institutions d’information et de propagande qui vont
lui permettre de faire passer son message politique, cette phase va voir la
naissance et le renforcement de trois medias pilier du système d’information
officiel : l’Agence Tunis Afrique presse (1962), la télévision (1966) et
le renforcement de la radio.
Ces trois médias
vont être à l’origine d’une politique de recrutement relativement importante, d’un
personnel appelé à exercer le journalisme de manière permanente, et presque
exclusive. C’est au cours de cette période que va se renforcer le rang des
journalistes professionnels, au détriment des journalistes amateurs, qui vont
devenir minoritaires ou presque inexistants.
Une bonne partie
des journalistes amateurs qui ont défendu les thèses nationalistes, voient
certains de leurs idéaux politiques se réaliser avec l’indépendance et quittent
le journalisme pour assumer des responsabilités dans les nombreux nouveaux
rouages de l’Etat.
D’autres sont
pratiquement condamnés à ne plus faire de journalisme à la suite de la
disparition de nombreux petits titres, et la prédominance des nouveaux médias
de l’Etat, qui préfèrent compter sur leur propre personnel permanent.
Une enquête du ministère
de l’information réalisée en 1977, précise que 40% des journalistes sont employés
par la RTT et la TAP, deux médias placés sous la tutelle du ministère de l’Information.
Si l’on ajoute à cette proportion ceux qui sont employés par le quotidien du
gouvernement LA PRESSE et les deux quotidiens du Parti socialiste destourien
PSD, nous remarquons que la grande proportion des journalistes sont employés
par l’Etat et le parti, qui sont les deux plus importants employeurs de
journalistes.
Cette même enquête nous livre un renseignement très important sur l’évolution du recrutement des journalistes en Tunisie. Plus de 50% de l’ensemble des journalistes exerçant en 1977, ont été recrutés entre 1971 et 1977. Si on s’éloigne un peu plus dans le passé on remarque que 77% des journalistes (soit 400 sur 520 recensés), ont été recrutés entre 1966 et 1977, période qui correspond à la deuxième phase que nous avons signalée plus tôt.
La troisième
phase commence à la fin de la deuxième moitié de la décennie 1970 et plus précisément
avec la naissance de l’hebdomadaire « indépendant » AR-RAI qui sera
suivi plus tard au début des années 1980, par une série de publications « indépendantes »
ou appartenant à des groupes politiques.
Cette phase va voir la réapparition de cette catégorie de journalistes militants et amateurs, qui a été à l’origine de la naissance du métier de journaliste en Tunisie et qui a presque disparu de la scène au cours de la deuxième phase.
Cette troisième
phase qui se prolonge toujours va voir se renforcer la coexistence des deux
caterogies de journalistes : les professionnels et les militants /amateurs.
Il va sans dire que les professionnels sont bien plus nombreux, et constituent
dans cette phase le profil dominant.
La réapparition
des journalistes militants et amateurs, s’explique par la volonté d’expression
politique, et par les moyens matériels limités des journaux « indépendants »
ou d’opposition qui ne peuvent pas supporter la charge financière que représente
une équipe de professionnels permanents.
La profession de journaliste ne peut que s’enrichir de cette coexistence des journalistes professionnels et des journalistes amateurs. Mais il faut dire que jusque-là, à part les rencontres et les discussions à caractère individuel, journalistes professionnels et journalistes amateurs, n’ont pas eu l’occasion de débattre ensemble de leurs expériences respectives dans l’exercice du journalisme en Tunisie.
Certes un thème
fondamental a dominé les débats entre journalistes professionnels et
journalistes amateurs : le code de la presse, fort contesté et par les
professionnels. Mais il faudrait élargir encore ce débat et aborder tous les
aspects de la profession.
Une question mériterait
d’être débattue, quel a été durant ces dernières années, l’apport des
journalistes amateurs ? Ces fonctionnaires, ces professeurs, ces avocats
et ces médecins qui par amour pour le journalisme, se sont mis à écrire des
articles, à fréquenter les salles de rédaction et les imprimeries et s’exposer à
la critique des lecteurs, ont-ils été à l’origine d’un nouveau journalisme en Tunisie
ou bien ont-ils perpétué la tradition du journalisme professionnel. La réapparition
des journalistes amateurs a elle contribué à changer l’idée que se fait le
public tunisien du journalisme et dans quel sens s’est fait ce changement ?
صحافة القرّاء....أم صحافة...؟