كلما أدّبني الدّهر أراني نقص عقلي

و اذا ما زدت علما زادني علما بجهلي

الامام الشافعي


jeudi 14 mars 2002

L'Université l'homme malade de la Tunisie.

Mehdi Jendoubi.

Réalites-N 846 du 14 au 20/3/2002 p.18


Comment ne pas être injuste en parlant de l'université, où cohabitent le meilleur et le pire. L'université, c'est ces milliers de cadres formés en nombre de plus en plus croissant depuis plusieurs décennies, et qui constituent aujourd'hui des forces de conception, de production de gestion et de création qui expliquent certaines performances actuelles de notre pays.

L'Université c'est aussi ces centaines d'enseignants chercheurs qui en plus de leurs multiples charges d'enseignement, d'encadrement et de recherche, participent à l'animation des différents secteurs relevant de leur spécialité, et qui contribuent à l'enrichissement du patrimoine intellectuel national, en publiant des livres, des articles dans les revues spécialisées et en participant activement aux multiples séminaires et colloques. Ils assument un rôle de plus en plus crucial dans les sociétés modernes : produire et faire circuler les idées.

C'est aussi ces étudiants studieux qui nous réconfortent parfois sur la qualité de notre enseignement en réussissant dans les concours et les examens les plus sévères des universités étrangères.

L'université c'est aussi cet effort colossal et continu de l'état qui a permis de multiplier par deux en une décennie le nombre d'étudiants avec tout ce que cela implique en termes de recrutement des enseignants, de construction de locaux et d'équipement, et de logistique sociale sous forme de bourses, d'hébergement et de restauration. Les promoteurs de cette politique ont de solides raisons d'être fiers.


Institutions désertées.


Comment ne pas être injuste quand on veut identifier les maux, ne pas se contenter de voir le meilleur et laisser le pire ronger l'édifice !

Le pire, c'est cette inefficacité de plus en plus perceptible des structures de direction qui assument difficilement leur rôle d'encadrement et s'isolent dans un fonctionnement bureaucratique minimaliste. La nomination des directeurs d'établissements universitaires, qui n'obéit pas toujours aux critères de compétence et de dévouement et privilégie parfois l'allégeance politique et les réseaux d'amitié, est souvent source de frustration, d'animosité et de passivité chez les enseignants chercheurs. Fermer la porte de l'accès au leadership institutionnel de manière arbitraire devant un grand nombre d'enseignants exclus d'avance de la course pour manque de sympathie politique , renforce le doute et le scepticisme et mine à la base les valeurs de travail et de dévouement, nécessaires à toute organisation. Il y a peut être des leçons à tirer de l'expérience du ministère de l'éducation nationale qui a mis au point des critères plus rigoureux pour la nomination des directeurs des écoles primaires.

Sur un autre plan, certains directeurs s'épuisent à œuvrer pour le rayonnement international de leur institution et passent plus de temps dans les aéroports que dans les réunions où ils doivent écouter leurs pairs, faire face aux difficultés qu'affrontent les enseignants et jouer leur rôle de vecteur de communication entre les décideurs de l'enseignement supérieur et la base des enseignants. Ils oublient même à leur retour de rendre compte au conseil scientifique des résultats de leurs missions.

Le pire ce sont aussi ces larges franges d'enseignants invisibles dans leurs établissements sauf durant les heures de cours. Ils boudent les réunions de département et ne prennent pas la peine d'assister à des séminaires qu'organise leur propre institution. Ne parlons pas des heures de bureau qu'ils doivent assurer pour encadrer leurs étudiants ou de leur non-participation aux travaux des commissions de rénovation pédagogique. Certains directeurs n'osent même pas convoquer de réunion, les enseignants ne viendront pas vous disent-ils en privé ! Les plus anciens vous expliqueront qu'ils sont épuisés et amers, et que dire des plus jeunes qui apprennent vite la leçon et désertent l'institution, devenue de fait une activité secondaire. S'ouvrir sur la société c'est bon, mais certains s'ouvrent tellement sur leur environnement qu'ils oublient parfois que c'est de l'université qu'ils tirent l'essentiel de leur salaire.


Fins stratèges de la note.

Le pire ce sont ces étudiants dont l'énergie est gaspillée inutilement. Leur journée est épuisante, mais ils travaillent peu sur l'année. C'est le paradoxe du rythme scolaire qui constitue actuellement une réelle entrave à la performance pédagogique. Il y a des journées de huit heures de cours avec trois ou quatre enseignements successifs. Il y a des emplois du temps avec dix matières différentes et plus. Que de temps perdu en va et vient, que d'heures d'attente entre deux séances ! Certaines institutions n'ont pas encore opté pour la tête bien faite et tendent plutôt à favoriser la tête bien pleine. Dans certains enseignements littéraires, à titre d'exemple, la seule dissertation ou commentaire de texte corrigés, réalisés par l'étudiant de première année sont ceux qu'il effectue à l'examen. Cela n'émeut personne.

Certains emplois du temps sont plus conçus pour trouver des cours aux enseignants que pour former des étudiants. Comment prétendre former quelqu'un quand on le soumet en fin de journée à un troisième cours et même à un quatrième cours et quand ce jeune de 22 ou de 23 ans a eu comme déjeuner, un sandwich de faible valeur nutritive, car ces jeunes de plus en plus boudent le plateau du restaurant universitaire. Les directeurs des restaurants universitaires nous rendraient un fier service s'ils offraient aux étudiants au prix du ticket un sandwich bien plus nutritif que ceux qu'offrent actuellement les buvettes et les gargotes environnantes.

Sur l'année par contre, nous travaillons peu. Le ministère de l'enseignement supérieur exige un minimum annuel de 26 semaines de cours, devenu la norme pour plusieurs établissements ; soit la moitié de l'année civile. Dans certaines écoles le déroulement des examens prend a lui seul deux mois et demi, soit presque l'équivalent d'un semestre normalisé à treize séances. Il faudrait alléger la journée des étudiants et augmenter le nombre effectif des séances de cours sur l'année.

Le pire aussi c'est cette faible motivation qu'observent beaucoup d'enseignants chez leurs étudiants, sauf exception. Viennent-ils pour apprendre, progresser intellectuellement, acquérir des compétences et s'épanouir par la connaissance ? Nous avons comme apprenants de fins stratèges de la note, et des inquiets du diplôme. Cadeau piégé de treize années et plus d'enseignement primaire et secondaire. Comment réchauffer les cœurs et ranimer les esprits ?

L'université de demain et l'apport des nouvelles technologies de l'information et de la communication, pour l'innovation pédagogique est un beau défi à relever. Mais osons regarder également l'université d'aujourd'hui dans ce qu'elle a de meilleur et de pire. Donnons la parole aux vrais acteurs de terrain, écoutons les suggestions et luttons contre les frustrations en prenant les mesures qui s'imposent et consacrons le temps qu'il faut pour expliquer et convaincre. Fierté nationale par certains aspects, l'université est par bien d'autres aspects l'homme malade de la Tunisie.

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