كلما أدّبني الدّهر أراني نقص عقلي

و اذا ما زدت علما زادني علما بجهلي

الامام الشافعي


jeudi 6 juillet 2000

La formation des journalistes en Tunisie : questions pour l’avenir.

 

 

  

 

Mehdi JENDOUBI

Réalités-N 759- du 6 au 12/7/2000

P:22-23           

La formation est un des multiples vecteurs de la promotion des médias. Le débat public sur l’état de l’information en Tunisie amène inévitablement à des interrogations sur le rôle que peut jouer l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI). Après plus de trente années d’existence cette institution n’est plus en mesure de jouer son rôle essentiel d’instrument de promotion de la presse et des médias en Tunisie. Elle fonctionne plus en structure d’accueil pour jeunes bacheliers à la recherche d’un diplôme, qu’en un lieu où sont renforcés et acquis les compétences et les valeurs nécessaires à l’exercice d’un métier de plus en plus central dans la vie de la cité.

Nul besoin de rappeler que cette institution à contribué depuis le début des années soixante dix, en injectant dans le secteur les premières promotions, au renouvellement du profil de base des journalistes professionnels. Ces diplômés doivent leur réussite  aussi bien aux compétences acquises à l’IPSI, qu’a leur forte motivation à s’engager dans une carrière pour laquelle aucun diplôme n’etait nécessaire et au sein de laquelle ils n’étaient pas toujours les bienvenus.

Une institution ne peut pas vivre sur ses lauriers et c’est de la critique de l’IPSI d’aujourd’hui que se dégageront les solutions des deux prochaines décennies. L’IPSI, en tant qu’instrument de promotion du secteur de l’information et de la communication en Tunisie est-il toujours aussi efficace? Telle est la question qu’on ne peut plus désormais éviter. Où se situent les problèmes ?

 

Au niveau du profil de base du diplômé. L’IPSI doit-il continuer à fonctionner en école de formation générale doublée d’une école de formation professionnelle ? Quels sont les besoins quantitatifs et qualitatifs du secteur ?les compétences de départ des bacheliers orientés à l’IPSI , sont-elles suffisantes pour entamer des études de journalisme ?   

 

Au niveau de la motivation des étudiants. Plusieurs témoignages d’enseignants constatent une démotivation assez perceptible qui fonctionne en deux étapes. Il y a ceux qui se disent orientés mécaniquement et ne sont pas spécialement portés vers le journalisme. Mais le fait le plus grave est de constater une démotivation progressive de ceux qui viennent à l’IPSI par choix personnel mais qui , pour des raisons relatives au programme à la pédagogie, aux conditions de travail, à l’environnement et à la représentation négative qu’ils se font de nos médias, perdent leurs illusions. Cette démotivation se prolonge dans la profession et peut constituer un handicap de départ dans la carrière. Demandons à un psychosociologue d’écouter nos étudiants, cela nous sera d’un grand apport.

 

Au niveau des mauvaises habitudes de travail prises à l’école et qui constituent un folklore dont nous sommes tous coupables. Les arrivées tardives quotidiennes de nos étudiants en classe aujourd’hui pudiquement cachées par les problèmes de transport vers le campus de La Mannouba, mais qui étaient tout aussi fréquentes dans l’ancien local de Montfleury, et L’absentéisme collectif quasi systématique, quelques jours avant le début officiel de chaque vacances scolaires. Nombreux sont les collègues qui se sont indignés de cet état de choses mais en vain. Est-ce réellement un mal incurable ?

 

Au niveau des pratiques intellectuelles et culturelles de base. Nous ne cessons de le dire dans nos réunions : nos étudiants sauf exception  ne lisent pas les journaux, et les livres et ne fréquentent pas les maisons de culture et les théâtres. Il n’écrivent que pour rendre leurs devoirs. La vie publique et en particulier les questions de politique générale ne les intéressent  pas. Allez prétendre que nous doteront la Tunisie de journalistes capables de rendre compte de la vie publique, de défendre ou de critiquer une politique! 

Le journalisme est un ensemble de valeurs et de pratiques professionnelles qui se greffent lentement sur une plate forme de compétences intellectuelles.

 

Au niveau du rythme scolaire. Grille des programmes, espace pédagogique et disponibilité des enseignants sont autant de facteurs qui contribuent à alourdir le rythme scolaire. Les étudiants sont astreints à passer de longues heures perdues entre deux enseignements dispersés en matinée et en après midi dans des conditions fatigantes. Je pense qu’il faut nécessairement bloquer les enseignements d’un même groupe en matinée ou en après midi pour permettre un usage positif du temps libre des étudiants, dont une partie est en fait un temps de formation en hors classe. Je ne vous parlerai pas du temps utile de formation. Nos étudiants sont théoriquement en classe vingt six semaines par an (soit la moitié de l’année civile) et pour les enseignements semestriels cela se réduit à treize séances. Nous consacrons par contre deux mois et demi soit dix semaines pour  le déroulement des examens (un peu plus que le quart du temps global de fonctionnement pédagogique de l’institution).

 

Au niveau des conditions de travail et en particulier ceux relatifs aux enseignements spécialisés. Rechercher l’information sur le terrain et rédiger des articles sont les ABC de toutes les écoles de journalisme, et le cœur de la formation que nous sommes sensés dispenser. Plusieurs facteurs concourent à entraver ces activités. Posez à nos étudiants en fin de cursus la question de savoir combien d’articles ils ont rédigé et combien de sorties sur le terrain ils ont effectué et combien de journaux écoles ils ont pu réaliser en quatre années d’études ! Ecoutez les enseignants chargés d’animer les enseignements de journalisme et ils vous diront les multiples difficultés qu’ils ont a assumer ces enseignements. Le journalisme que nous professons est loin de se dérouler dans des conditions proches de l’exercice de la profession, ce qui ne peut qu’handicaper nos étudiants dans leur quête de plus en plus difficile d’insertion dans le marché du travail. Sachez pour mémoire que les étudiants de journalisme au Sénégal animent une heure quotidienne d’antenne de la radio nationale!

 

Au niveau du corps enseignant. L’ambiance amicale et sympathique et les efforts individuels que chacun d’entre nous s’efforce de réaliser ne doivent pas cacher l’essentiel. Nous sommes loin de donner le meilleur de nous mêmes collectivement. Performants individuellement, nous sommes handicapés collectivement. j’en veux pour preuves nos départements boudés sans cause apparente et souvent réduits à leur fonction élémentaire d’espace de répartition des cours; et les cercles de discussions scientifiques et pédagogiques presque inexistants. Soit nous nous enlisons dans un tourbillon d’interminables querelles, soit c’est le règne d’une pacifique indifférence. Nous sommes tout autant démotivés que nos étudiants. Pourquoi?  Le ministère de l’enseignement supérieur aurait beaucoup à gagner  d’une étude d’un expert en ressources humaines qui viendrait écouter les enseignants et analyser les représentations qu’ils se font du fonctionnement de leur institution. Cela nous aidera à positiver nos conflits.

 

 

Au niveau des structures. A ma connaissance les structures dirigent, animent, encadrent, informent, planifient, identifient les difficultés et les obstacles et proposent des solutions. Je ne suis pas convaincu que toutes ces fonctions sont entièrement assumées. Notre institution ne fait que s’enliser dans la gestion de la quotidienneté et dans la reproduction du passé.

J’avancerai l’exemple du dossier de l’auto-évaluation communiqué à l’IPSI par le ministère en Mars 1998. Rien que dans l’axe étudiant/formation , dont je suis le coordinateur  nous avons prévu dans l’assemblée générale du Mercredi 3 Mars 1999, la rédaction de six rapports relatifs aux points suivants : profils des diplômés et besoins actuels et futurs du marché, réexamen de la grille actuelle des programmes issue de la réforme de 1992, fonctionnement pédagogique de l’IPSI, équipements, mémoires et stages et promotion de l’enseignement des langues. Aucun de ces documents n’a vu le jour. Une belle occasion de développement institutionnel que nous avons raté.

 

Au niveau du décideur politico-administratif. Doter l’PSI d’un nouveau local  est un acte qui témoigne des sacrifices que consent l’Etat pour la promotion de la formation des journalistes, sans parler du budget qui fait vivre cette institution depuis trente ans. Nous sommes loin du début des années 70 où quelques rares enseignants tunisiens s’évertuaient avec l’aide de la coopération allemande et française à jeter les jalons de la première formation spécialisée en journalisme dans notre pays. L’IPSI est doté actuellement d’un corps enseignant universitaire à plein temps d’environ trente enseignants chercheurs, l’esprit pionnier des fondateurs en moins !

Mais la responsabilité du décideur politique et administratif est encore bien plus complexe et la portée que peuvent avoir certaines décisions de haut niveau ne peut  échapper à personne. Je me limiterai à évoquer les points suivants pouvant relever du décideur politico-administratif :

 

-La nomination de l’équipe dirigeante constituée par le directeur et le directeur des études est un acte aux lourdes conséquences sur le fonctionnement de l’institution et sur le moral des enseignants. Les critères de compétence, de dévouement professionnel et de rayonnement au sein de l’institution peuvent constituer des arguments solides pour procurer aux premiers responsables l’estime et la coopération de leurs pairs.

Les décideurs politico-administratifs , ne peuvent pas se réfugier derrière les textes qui leur donnent de larges compétences dans ce cas et ignorer les aspirations légitimes des différentes générations d’enseignants. L’exclusion et l’accumulation des frustrations peut expliquer beaucoup de comportements négatifs dont souffre notre institution depuis plusieurs années. Pire encore, quand les gens doutent des valeurs de compétence et de travail comme moyens légitimes de promotion et d’accès aux responsabilités dans le champ universitaire, toutes les dérives sont possibles.

 

-La coopération IPSI-Medias pose problème : identification des besoins du secteur, stages, participation des professionnels à la formation et projets de recherche. Cela est d’autant plus inacceptable qu’une  large partie des médias relèvent, comme l’IPSI, de l’Etat (stations de radios et de télévision, agence TAP,  journal LA PRESSE).Faut-il une décision politique pour amener ces structures à optimiser leur coopération?

 

-Le ministère de l’enseignement supérieur, sous la pression du flux des bacheliers a eu tendance depuis plusieurs années à orienter un nombre croissant et disproportionné de jeunes bacheliers vers le journalisme. Le guide de l’orientation 2000, annonce environ 300 nouveaux bacheliers, qui seront répartis entre les filières de journalisme et de communication . Ce flux est disproportionné par rapport aux équipements disponibles et à la qualité de l’encadrement nécessaire ( travaux en groupes restreints pour favoriser l’apprentissage par la production, multiples déplacements à l’intérieur de la république réduits depuis quelques années pour raison budgétaire) ; ainsi que par rapport aux capacités d’absorption de cette profession qui reste naturellement  ouverte aux détenteurs d’autres diplômes scientifiques et aux mordus qui savent manier la plume. La diversité des compétences nécessaires à l’industrie de la presse et  la spécialisation croissante des médias imposent une cohabitation enrichissante entre les diplômés de journalisme et une large panoplie de diplômés d’autres disciplines universitaires. Il faudrait limiter dans des proportions raisonnables le nombre de nouveaux bacheliers orientés vers le journalisme et introduire des critères qualitatifs (motivation, niveau d’expression écrite et orale).

 

Diagnostiquer les problèmes réels qui entravent l’IPSI, envisager les solutions concrètes, mobiliser les énergies autour d’objectifs négociés et procurer des moyens matériels et humains suffisants, sont des urgences auxquelles doivent faire face les différentes structures de notre institution ainsi que l’autorité de tutelle. En l’état actuel des choses, j’affirme modestement que les sacrifices financiers que consent l’Etat pour le fonctionnement de l’IPSI sont peu productifs.

 


بعد أيام قليلة من نشر المقال الوارد في الأعلى يوم 6 جويلية 2000 في مجلة Realites  صدر في جريدة البيان يوم الإثنين 10 جويلية 2000 التصريح التالي:





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