Kapitalis 22 Avril 2019
Mehdi Jendoubi
Mme Moussi est brave et courageuse, elle se relève d’une dure épreuve personnelle et obtient un relatif succès, et porte un discours politique qui commence à être audible par une partie des tunisiens. Cela constitue une donne politique qui mérite attention et débat. Il est évident que son noyau dur est constitué par une partie des anciens militants du RCD, nostalgiques et/ou aigris et frustrés par l’échec de l’ancien régime, mais aussi maltraités par les nouveaux maitres dela Cité, qui parfois reproduisent l’exclusion dont ils étaient eux-mêmes victimes.
Mais les militants ne constituent qu’une infime partie de l’opinion publique réelle, et ce qui doit inquiéter les défenseurs de la démocratie actuelle en Tunisie, c’est cette proportion de citoyens, même réduite, qui est devenue réceptive au discours de Mme Moussi. Sommes-nous en présence d’une vague qui s’amplifiera comme dans le cas brésilien où un partisan de la dictature est arrivé au pouvoir démocratiquement), sûrement pas pour 2019 mais pour plus tard ? Chacun aussi bien dans le pouvoir que dans l’opposition et les élites, doit se poser sincèrement la question suivante : quelles sont les erreurs majeures commises depuis 8 ans qui favorisent ce discours nostalgique ?
Comme le mentionne bien M. Mselmi, la proposition de Mme Moussi d’interdire les partis religieux et donc Ennahdha, est un slogan miné de contradictions et d’aberrations historiques. Le traitement sécuritaire de l’islamisme a commencé en Tunisie à la fin des années 70 et c’est amplifié durant la décennie 1990, pour nous retrouver après la révolution à la première épreuve électorale, avec un parti auréolé par le sacrifice et aguerri par les épreuves de la vie. Faut-il fatalement refaire les mêmes erreurs historiques ? Mme Moussi se défend de vouloir mettre les islamistes en prison, mais elle affirme vouloir interdire leur parti. Aurait-elle la naïveté de penser, que ceux qui ont résisté 30 ans durant, resteront les bras croisés ?. Quelles perspectives de troubles nous-promet-elle en fait.
Mme Moussi se proclame du Bourguibisme pour donner une légitimité à sa proposition. Certes Bourguiba a combattu les islamistes, mais aussi d’autres tendances politiques de gauche, faudrait-il les interdire aussi ? Et puis ne jamais oublier que le Bourguibisme, c’est surtout, l’école et la promotion de la culture, la santé, les logements sociaux, la politique des étapes, l’unité nationale, la construction de l’Etat, la modernité, etc…Et comme avec tout héritage politique, il y a l’esprit et la lettre et évidemment le contexte historique changeant.
Bourguiba a construit son action et sa pensée politique sur plusieurs idées forces : l’une d’entre-elles est centrale dans sa pensée : l’unité nationale. Bien compris, ce concept nous amène aujourd’hui à accepter, même à contrecœur, la diversité politique des tunisiens. Une fois qu’on aura interdit un parti, que faire de ses adhérents et de ses sympathisans et des simples citoyens qui votent pour ce parti, faut-il aussi les exclure de la communauté nationale ? Peut-on aimer la Tunisie, sans aimer les tunisiens, même ceux qui votent contre nous ?
Le succès de Mme Abir Moussi lui donne une responsabilité accrue et un leader même, quand il a le vent en poupe, peut réviser certaines de ses affirmations et rectifier le tir quand les intérêts majeurs de la Nation l’exigent. Mais nous avons connu aussi des généraux vaillants qui mènent leur troupe à l’impasse. Feu de paille ou lame de fond, le cas Moussi est politiquement, intéressant et instructif. Au-delà des coups de griffe à la personne, il faut la prendre au sérieux, et prendre encore plus au sérieux les simples citoyens qui reçoivent son discours. jendoubimehdi@yahoo.fr
Source :
Abir moussi, une incarnation du benalisme
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